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QUISQUIS. LANGLEVIEL.

niment plus noble ; mais il est quelquefois un peu insultant pour la compagnie. Il veut dire : Messieurs, vous ne valez pas la peine que je cherche à être estimé de vous.

Tout homme a de l’orgueil ; tout homme est sensible. Le plus habile est celui qui sait le mieux cacher son jeu.

Il y a un cas où l’on est malheureusement obligé de parler de soi, et même très-longtemps : c’est quand on a un procès. Alors il faut bien instruire ses juges : c’est un devoir de leur donner bonne opinion de vous. Cicéron, en plaidant pro domo sua, fut obligé de rappeler ses services à la république ; Démosthène avait été réduit à la même nécessité dans sa harangue contre Eschine. Hors de là, taisez-vous, et ne faites parler que votre mérite si vous en avez.

La mère du maréchal de Villars disait à son fils : « Ne parlez jamais de vous qu’au roi, et de votre femme à personne. »

On pardonne à un tailleur qui vous apporte votre habit de vouloir vous persuader qu’il est un très-bon ouvrier : sa fortune dépend de l’opinion qu’il vous inspire.

Il était permis à de Belloy de vanter un peu les vers durs et mal faits de son Siége de Calais : toute son existence était fondée sur cette pièce, aussi insipide qu’éblouissante. Si Racine avait parlé ainsi d’Iphigénie, il aurait révolté les lecteurs.

C’est presque toujours par orgueil qu’on attaque de grands noms. La Beaumelle, dans un de ses libelles[1], insulte MM. d’Erlach, de Sinner, de Diesbach, de Vatteville, etc., et il s’en justifie en disant que c’est un ouvrage de politique. Mais dans ce même libelle, qu’il appelle son livre de politique, il dit en propres mots[2] : « Une république fondée par Cartouche aurait eu de plus sages lois que la république de Solon. » Quel respect cet homme a pour les voleurs !

«[3]Le roi de Prusse ne tient son sceptre que de l’abus que l’empereur a fait de sa puissance, et de la lâcheté des autres princes. » Quel juge des rois et des royaumes !

«[4]Pourquoi aurions-nous de l’horreur du régicide de Charles Ier ? il serait mort aujourd’hui. » Quelle raison, ou plutôt quelle exécrable démence ! Sans doute il serait mort aujourd’hui, puisque

  1. Mes Pensées, ouvrage dont il a été plusieurs fois question, et notamment dans une note du chapitre xxxiii du Précis du Siècle de Louis XV, et dans la dédicace du Supplément au Siècle de Louis XIV. Voyez tome XV.
  2. Num. xxxiii. (Note de Voltaire.)
  3. Ibid., cxxxiii. (Id.)
  4. Ibid., ccx. (Id.)