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QUISQUIS. LANGLEVIEL.

brochures, dans lesquelles ils prennent à témoin tout le public de leurs innombrables efforts pour inspirer les bonnes mœurs, la modération et la piété.

DES LIBELLES DE LANGLEVIEL, DIT LA BEAUMELLE.

On a remarqué que tous ces écrivains subalternes de libelles diffamatoires sont un composé d’ignorance, d’orgueil, de méchanceté et de démence. Une de leurs folies est de parler toujours d’eux-mêmes, eux qui par tant de raisons sont forcés de se cacher.

Un des plus inconcevables héros de cette espèce est un certain Langleviel de La Beaumelle, qui atteste tout le public qu’on a mal orthographié son nom. Je m’appelle Langleviel et non pas Langlevieux, dit-il dans une de ses immortelles productions : donc tout ce qu’on me reproche est faux, et ne peut porter sur moi.

Dans une autre lettre, voici comme il parle à l’univers attentif : « Le six du même mois parut mon ode : on la trouva très-belle, et elle l’était pour Copenhague où je l’envoyai, et autant pour Berlin, où il y a peut-être moins de goût qu’à Copenhague. J’avais le projet de faire imprimer les classiques français ; mais j’en fus détourné le 27 janvier par une aventure de galanterie qui eut des suites funestes. Je fus volé par le capitaine Cocchius, dont la femme m’avait fait des agaceries à l’opéra. Je fus condamné sans avoir été interrogé ni confronté, et je fus conduit à Spandau. J’écrivis au roi. Je crois que Darget supprima mes lettres. Il écrivit à l’ingénieur Lefebvre qu’on ne cherchait qu’à me jouer un mauvais tour. Vous voyez que Darget ne me disait pas bien finement que son maître avait des impressions fâcheuses contre moi. »

Hé, pauvre homme ! qui dans le monde peut s’embarrasser si tu as donné une galanterie à Mme  Cocchius, ou si Mme  Cocchius te l’a donnée ? qu’importe que tu aies été volé par M. Cocchius, ou que tu l’aies volé ? qu’importe que Darget se soit moqué de toi ? qui saura jamais qu’un natif des Cévennes ait fait une ode à Copenhague ?

On retrouve partout la mouche d’Ésope, qui, du fond d’un char, dans un chemin sablonneux, s’écriait : « Que j’élève de poussière ! »

L’orgueil des petits consiste à parler toujours de soi : l’orgueil des grands est de n’en jamais parler. Ce dernier orgueil est infi-