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PUISSANCE.

lagé de la moitié du fardeau immense qui vous accable. Je vous ai parlé de la fable d’Atlas qui portait le ciel sur ses épaules. Hercule le soulagea et porta le ciel. Vous êtes l’Atlas, et Hercule est le pape. Il y aura deux puissances dans votre empire. Notre bon Clément XI sera la première. Ainsi vous goûterez le plus grand des biens, celui d’être oisif pendant votre vie, et d’être sauvé après votre mort.

l’empereur.

Vraiment je suis très-obligé à ce cher pape, qui daigne prendre cette peine ; mais comment pourra-t-il gouverner mon empire à six mille lieues de chez lui ?

père bouvet.

Rien n’est plus aisé, Sacrée Majesté impériale. Nous sommes ses vicaires apostoliques ; il est vicaire de Dieu : ainsi vous serez gouverné par Dieu même.

l’empereur.

Quel plaisir ! je ne me sens pas d’aise. Votre vice-Dieu partagera donc avec moi les revenus de l’empire ? Car toute peine vaut salaire.

père bouvet.

Notre vice-Dieu est si bon qu’il ne prendra d’ordinaire que le quart tout au plus, excepté dans les cas de désobéissance. Notre casuel ne montera qu’à deux millions sept cent cinquante mille onces d’argent pur. C’est un bien mince objet en comparaison des biens célestes.

l’empereur.

Oui, c’est marché donné. Votre Rome en tire autant apparemment du Grand Mogol mon voisin, de l’empire du Japon mon autre voisin, de l’impératrice de Russie mon autre bonne voisine, de l’empire de Perse, de celui de Turquie ?

père bouvet.

Pas encore ; mais cela viendra, grâce à Dieu et à nous.

l’empereur.

Et combien vous en revient-il à vous autres ?

père bouvet.

Nous n’avons point de gages fixes ; mais nous sommes comme la principale actrice d’une comédie[1] d’un comte de Caylus mon compatriote : tout ce que je... c’est pour moi.

  1. Voltaire a parlé de cette comédie dans une des notes du Pauvre Diable ; et il ne donne que l’initiale de son titre. Cette pièce n’est pas de Caylus. (B.)