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PUISSANCE, TOUTE-PUISSANCE.

jours ; que ses passions sont nécessaires, mais qu’elles sont funestes ; que la propagation ne peut s’exécuter sans désirs ; que ces désirs ne peuvent animer l’homme sans querelles ; que ces querelles amènent nécessairement des guerres, etc.

5° En voyant une partie des combinaisons du règne végétal, animal et minéral, et ce globe percé partout comme un crible, d’où tant d’exhalaisons s’échappent en foule, quel sera le philosophe assez hardi ou le scolastique assez imbécile pour voir clairement que la nature pouvait arrêter les effets des volcans, les intempéries de l’atmosphère, la violence des vents, les pestes, et tous les fléaux destructeurs ?

6° Il faut être bien puissant, bien fort, bien industrieux, pour avoir formé des lions qui dévorent des taureaux, et produit des hommes qui inventent des armes pour tuer d’un seul coup, non-seulement les taureaux et les lions, mais encore pour se tuer les uns les autres. Il faut être très-puissant pour avoir fait naître des araignées qui tendent des filets pour prendre des mouches ; mais ce n’est pas être tout-puissant, infiniment puissant.

7° Si le grand Être avait été infiniment puissant, il n’y a nulle raison pour laquelle il n’aurait pas fait les animaux sensibles infiniment heureux ; il ne l’a pas fait, donc il ne l’a pas pu.

8° Toutes les sectes des philosophes ont échoué contre l’écueil du mal physique et moral. Il ne reste que d’avouer que Dieu, ayant agi pour le mieux, n’a pu agir mieux.

9° Cette nécessité tranche toutes les difficultés et finit toutes les disputes. Nous n’avons pas le front de dire : Tout est bien ; nous disons : Tout est le moins mal qu’il se pouvait.

10° Pourquoi un enfant meurt-il souvent dans le sein de sa mère ? Pourquoi un autre, ayant eu le malheur de naître, est-il réservé à des tourments aussi longs que sa vie, terminés par une mort affreuse ?

Pourquoi la source de la vie a-t-elle été empoisonnée dans toute la terre depuis la découverte de l’Amérique ? Pourquoi depuis le VIIe siècle de notre ère vulgaire, la petite-vérole emporte-t-elle la huitième partie du genre humain ? Pourquoi de tout temps les vessies ont-elles été sujettes à être des carrières de pierres ? Pourquoi la peste, la guerre, la famine et l’Inquisition ? Tournez-vous de tous les sens, vous ne trouverez d’autre solution sinon que tout a été nécessaire.

Je parle ici aux seuls philosophes, et non pas aux théologiens. Nous savons bien que la foi est le fil du labyrinthe. Nous savons que la chute d’Adam et d’Ève, le péché originel, la puissance