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PUISSANCE, TOUTE-PUISSANCE.

Qu’aurais-je donc dit à Zoroastre ? Ma raison ne peut admettre deux dieux qui se combattent : cela n’est bon que dans un poëme où Minerve se querelle avec Mars. Ma faible raison est bien plus contente d’un seul grand Être, dont l’essence était de faire et qui a fait tout ce que sa nature lui a permis, qu’elle n’est satisfaite de deux grands Êtres, dont l’un gâte tous les ouvrages de l’autre. Votre mauvais principe Arimane n’a pu déranger une seule des lois astronomiques et physiques du bon principe Oromase : tout marche avec la plus grande régularité dans les cieux. Pourquoi le méchant Arimane n’aurait-il eu de puissance que sur ce petit globe de la terre ?

Si j’avais été Arimane, j’aurais attaqué Oromase dans ses belles et grandes provinces de tant de soleils et d’étoiles. Je ne me serais pas borné à lui faire la guerre dans un petit village.

Il y a beaucoup de mal dans ce village ; mais d’où savons-nous que ce mal n’était pas inévitable ?

Vous êtes forcé d’admettre une intelligence répandue dans l’univers, mais :

1° Savez-vous, par exemple, si cette puissance s’étend jusqu’à prévoir l’avenir ? Vous l’avez assuré mille fois ; mais vous n’avez jamais pu ni le prouver, ni le comprendre. Vous ne pouvez savoir comment un être quelconque voit ce qui n’est pas. Or l’avenir n’est pas ; donc nul être ne peut le voir. Vous vous réduisez à dire qu’il prévoit ; mais prévoir c’est conjecturer[1].

Or un Dieu qui, selon vous, conjecture peut se tromper. Il s’est réellement trompé dans votre système : car s’il avait prévu que son ennemi empoisonnerait ici-bas toutes ses œuvres, il ne les aurait pas produites ; il ne se serait pas préparé lui-même la honte d’être continuellement vaincu.

2° Ne lui fais-je pas bien plus d’honneur en disant qu’il a fait tout par la nécessité de sa nature, que vous ne lui en faites en lui suscitant un ennemi qui défigure, qui souille, qui détruit ici-bas toutes ses œuvres ?

3° Ce n’est point avoir de Dieu une idée indigne que de dire qu’ayant formé des milliards de mondes où la mort et le mal n’habitent point, il a fallu que le mal et la mort habitassent dans celui-ci.

4° Ce n’est point rabaisser Dieu que de dire qu’il ne pouvait former l’homme sans lui donner de l’amour-propre ; que cet amour-propre ne pouvait le conduire sans l’égarer presque tou-

  1. C’est le sentiment des sociniens. (Note de Voltaire.)