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PROVIDENCE.

nouvelle n’a été qu’enviée et méprisée. Tout a été confondu. Les peuples qui ont souffert ces usurpations ont été le jouet des nations qui se sont préservées de ce fléau.

Les erreurs d’un gouvernement peuvent être une leçon pour les autres. Ils profitent du bien qu’il a fait ; ils évitent le mal où il est tombé.

Il est si aisé d’opposer le frein des lois à la cupidité et à l’orgueil des nouveaux parvenus, de fixer l’étendue des terrains roturiers qu’ils peuvent acheter, de leur interdire l’acquisition des grandes terres seigneuriales[1], que jamais un gouvernement ferme et sage ne pourra se repentir d’avoir affranchi la servitude et d’avoir enrichi l’indigence. Un bien ne produit jamais un mal que lorsque ce bien est poussé à un excès vicieux, et alors il cesse d’être bien. Les exemples des autres nations avertissent ; et c’est ce qui fait que les peuples qui sont policés les derniers surpassent souvent les maîtres dont ils ont pris les leçons.



PROVIDENCE[2].


J’étais à la grille lorsque sœur Fessue disait à sœur Confite : « La Providence prend un soin visible de moi ; vous savez comme j’aime mon moineau : il était mort, si je n’avais pas dit neuf Ave Maria pour obtenir sa guérison. Dieu a rendu mon moineau à la vie ; remercions la sainte Vierge. »

Un métaphysicien lui dit : « Ma sœur, il n’y a rien de si bon que des Ave Maria, surtout quand une fille les récite en latin dans un faubourg de Paris ; mais je ne crois pas que Dieu s’occupe beaucoup de votre moineau, tout joli qu’il est ; songez, je vous prie, qu’il a d’autres affaires. Il faut qu’il dirige continuellement le cours de seize planètes et de l’anneau de Saturne, au centre desquels il a placé le soleil, qui est aussi gros qu’un million de nos terres. Il a des milliards de milliards d’autres soleils, de planètes et de comètes à gouverner. Ses lois immuables et son concours éternel font mouvoir la nature entière : tout est lié à son

  1. Ces deux dernières lois seraient injustes. Mais si on voulait s’opposer à la trop grande inégalité des richesses, et qu’on n’eût ni assez de courage, ni une politique assez éclairée pour abolir absolument les substitutions et les droits d’aînesse, on pourrait restreindre ce privilége aux fiefs possédés par la noblesse ancienne ou titrée. Ce serait du moins agir conséquemment, d’après un principe vicieux à la vérité, celui de favoriser les distinctions entre les états. (K.)
  2. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)