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PROPRIÉTÉ.

à la faiblesse de l’esprit humain de débrouiller jamais. On a besoin, encore une fois, d’une Église infaillible qui juge sans appel. Car enfin, si un Chinois, un Tartare, un Africain, réduit au malheur de n’avoir que du bon sens, lisait toutes ces prophéties, il lui serait impossible d’en faire l’application, ni à Jésus-Christ, ni aux Juifs, ni à personne. Il serait dans l’étonnement, dans l’incertitude, ne concevrait rien, n’aurait pas une seule idée distincte. Il ne pourrait pas faire un pas dans cet abîme ; il lui faut un guide. Prenons donc l’Église pour notre guide, c’est le moyen de cheminer. On arrive avec ce guide, non-seulement au sanctuaire de la vérité, mais à de bons canonicats, à de grosses commanderies, à de très-opulentes abbayes crossées et mitrées, dont l’abbé est appelé monseigneur par ses moines et par ses paysans, à des évêchés qui vous donnent le titre de prince ; on jouit de la terre, et on est sûr de posséder le ciel en propre.



PROPRIÉTÉ[1].


Liberty and property, c’est le cri anglais. Il vaut mieux que Saint George et mon droit, Saint Denys et Mont-joie : c’est le cri de la nature.

De la Suisse à la Chine les paysans possèdent des terres en propre. Le droit seul de conquête a pu, dans quelques pays, dépouiller les hommes d’un droit si naturel.

L’avantage général d’une nation est celui du souverain, du magistrat et du peuple, pendant la paix et pendant la guerre. Cette possession des terres accordées aux paysans est-elle également utile au trône et aux sujets dans tous les temps ? Pour qu’elle le soit au trône, il faut qu’elle puisse produire un revenu plus considérable et plus de soldats.

Il faut donc voir si le commerce et la population augmenteront. Il est certain que le possesseur d’un terrain cultivera beaucoup mieux son héritage que celui d’autrui. L’esprit de propriété double la force de l’homme. On travaille pour soi et pour sa famille avec plus de vigueur et de plaisir que pour un maître. L’esclave qui est dans la puissance d’un autre a peu d’inclination pour le mariage. Il craint souvent même de faire des esclaves comme lui. Son industrie est étouffée, son âme abrutie ; et ses forces ne s’exercent jamais dans toute leur élasticité. Le posses-

  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)