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PRIVILÉGES.

une année entière dans les cachots avant de savoir quels seront ses juges.

Les prêtres et les moines sont dans l’État et sujets de l’État : il est bien étrange que lorsqu’ils ont troublé la société, ils ne soient pas jugés comme les autres citoyens, par les seuls officiers du souverain.

Chez les Juifs, les grands-prêtres mêmes n’avaient point ce privilége, que nos lois ont accordé à de simples habitués de paroisse. Salomon déposa le grand-pontife Abiathar, sans le renvoyer à la synagogue pour lui faire son procès[1]. Jésus-Christ, accusé devant un juge séculier et païen, ne récusa pas sa juridiction. Saint Paul, traduit au tribunal de Félix et de Festus, ne le déclina point.

L’empereur Constantin accorda d’abord ce privilège aux évêques ; Honorius et Théodose le jeune retendirent à tous les clercs, et Justinien le confirma.

En rédigeant l’ordonnance criminelle de 1670, le conseiller d’État Pussort et le président de Novion étaient d’avis[2] d’abolir la procédure conjointe, et de rendre aux juges royaux le droit de juger seuls les clercs accusés de cas privilégiés ; mais cet avis raisonnable fut combattu par le premier président de Lamoignon et par l’avocat général Talon ; et une loi qui était faite pour réformer nos abus confirma le plus ridicule de tous.

Une déclaration du roi du 26 avril 1657 défend au parlement de Paris de continuer la procédure commencée contre le cardinal de Retz, accusé de crime de lèse-majesté. La même déclaration veut que le procès des cardinaux, archevêques, et évêques du royaume, accusés du crime de lèse-majesté, soient instruits et jugés par les juges ecclésiastiques, comme il est ordonné par les canons.

Mais cette déclaration, contraire aux usages du royaume, n’a été enregistrée dans aucun parlement, et ne serait pas suivie. Nos livres rapportent plusieurs arrêts qui ont décrété de prise de corps, déposé, confisqué les biens, et condamné à l’amende et à d’autres peines des cardinaux, des archevêques, et des évêques. Ces peines ont été prononcées :

Contre l’évêque de Nantes, par arrêt du 25 juin 1455 ;

Contre Jean de La Balue, cardinal et évêque d’Angers, par arrêt du 29 juillet 1469 ;

Contre Jean Hébert, évêque de Constance, en 1480 ;

Contre Louis de Rochechouart, évêque de Nantes, en 1481 ;

  1. IIIe livre des Rois, chapitre ii, v. 26 et 27. (Note de Voltaire.)
  2. Procès-verbal de l’ordonnance, pages 43 et 44. (Id.)