Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
PRIÈRES.

instance ; ou la chose est injuste, et alors on l’outrage. Vous êtes digne ou indigne de la grâce que vous implorez : si digne, il le sait mieux que vous ; si indigne, on commet un crime de plus en demandant ce qu’on ne mérite pas.

En un mot, nous ne faisons des prières à Dieu que parce que nous l’avons fait à notre image. Nous le traitons comme un bacha, comme un sultan qu’on peut irriter ou apaiser.

Enfin toutes les nations prient Dieu : les sages se résignent et lui obéissent.

Prions avec le peuple, et résignons-nous avec les sages.

Nous avons déjà parlé[1] des prières publiques de plusieurs nations, et de celles des Juifs. Ce peuple en a une depuis un temps immémorial, laquelle mérite toute notre attention par sa conformité avec notre prière enseignée par Jésus-Christ même. Cette oraison juive s’appelle le Kadish ; elle commence par ces mots : « Ô Dieu ! que votre nom soit magnifié et sanctifié ; faites régner votre règne ; que la rédemption fleurisse, et que le Messie vienne promptement ! »

Ce Kadish, qu’on récite en chaldéen, a fait croire qu’il était aussi ancien que la captivité, et que ce fut alors qu’ils commencèrent à espérer un messie, un libérateur, qu’ils ont demandé depuis dans les temps de leurs calamités.

Ce mot de messie, qui se trouve dans cette ancienne prière, a fourni beaucoup de disputes sur l’histoire de ce peuple. Si cette prière est du temps de la transmigration à Babylone, il est clair qu’alors les Juifs devaient souhaiter et attendre un libérateur. Mais d’où vient que, dans des temps plus funestes encore, après la destruction de Jérusalem par Titus, ni Josèphe ni Philon ne parlèrent jamais de l’attente d’un messie ? Il y a des obscurités dans l’histoire de tous les peuples ; mais celle des Juifs est un chaos perpétuel. Il est triste pour les gens qui veulent s’instruire que les Chaldéens et les Égyptiens aient perdu leurs archives, tandis que les Juifs ont conservé les leurs[2].

Voici sur la prière une anecdote assez curieuse, et qui ne paraîtra pas déplacée à la suite de ce qu’on vient de rapporter dans cet article. Il s’agit d’un acte juridique, dont une copie, que l’on assure très-fidèle, est parvenue en nos mains depuis peu.

  1. Article Oraison, page 146, et tome XI, page 127.
  2. Fin de l’article en 1772, et même en 1775. Ce qui suit n’est pas dans les éditions de Kehl, mais avait déjà été publié dans l’édition en quarante-deux volumes, lorsqu’en 1821 je l’imprimai après l’avoir copié sur un écrit de la main de Wagnière. (B.)