Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
275
PRIÈRES.

que vous espérez qu’ils rentreront dans la bonne voie. Mais pour les simples citoyens, ne les épargnez jamais ; plus ils seront gens de bien, plus vous devrez travailler à les exterminer : car ce sont les gens d’honneur qui sont les plus dangereux pour vous.

« Vous aurez la simplicité de la colombe, la prudence du serpent, et la griffe du lion, selon les lieux et selon les temps. »

Le dalaï-lama avait à peine prononcé ces paroles que la terre trembla, les éclairs coururent d’un pôle à l’autre, le tonnerre gronda, une voix céleste se fit entendre : Adorez Dieu, et non le grand lama.

Tous les petits lamas soutinrent que la voix avait dit : « Adorez Dieu et le grand lama. » On le crut longtemps dans le royaume du Thibet ; et maintenant on ne le croit plus.



PRIÈRES[1].


Nous ne connaissons aucune religion sans prières ; les Juifs mêmes en avaient, quoiqu’il n’y eût point chez eux de formule publique, jusqu’au temps où ils chantèrent leurs cantiques dans leurs synagogues, ce qui n’arriva que très-tard.

Tous les hommes, dans leurs désirs et dans leurs craintes, invoquèrent le secours d’une divinité. Des philosophes, plus respectueux envers l’Être suprême, et moins condescendants à la faiblesse humaine, ne voulurent, pour toute prière, que la résignation. C’est en effet tout ce qui semble convenir entre la créature et le créateur. Mais la philosophie n’est pas faite pour gouverner le monde ; elle s’élève trop au-dessus du vulgaire ; elle parle un langage qu’il ne peut entendre. Ce serait proposer aux marchandes de poissons frais d’étudier les sections coniques.

Parmi les philosophes même, je ne crois pas qu’aucun autre que Maxime de Tyr ait traité cette matière ; voici la substance des idées de ce Maxime.

L’Éternel a ses desseins de toute éternité. Si la prière est d’accord avec ses volontés immuables, il est très-inutile de lui demander ce qu’il a résolu de faire. Si on le prie de faire le contraire de ce qu’il a résolu, c’est le prier d’être faible, léger, inconstant ; c’est croire qu’il soit tel, c’est se moquer de lui. Ou vous lui demandez une chose juste : en ce cas il la doit, et elle se fera sans qu’on l’en prie ; c’est même se défier de lui que lui faire

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)