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POLYTHÉISME.

la mer, Junon à l’air, Éole aux vents, Pluton ou Vesta à la terre, Mars aux armées. Mettons à quartier les généalogies de tous ces dieux, aussi fausses que celles qu’on imprime tous les jours des hommes ; passons condamnation sur toutes leurs aventures dignes des Mille et une Nuits, aventures qui jamais ne firent le fond de la religion grecque et romaine ; en bonne foi, où sera la bêtise d’avoir adopté des êtres du second ordre, lesquels ont quelque pouvoir sur nous autres, qui sommes peut-être du cent millième ordre ? Y a-t-il là une mauvaise philosophie, une mauvaise physique ? N’avons-nous pas neuf chœurs d’esprits célestes plus anciens que l’homme ? Ces neuf chœurs n’ont-ils pas chacun un nom différent ? Les Juifs n’ont-ils pas pris la plupart de ces noms chez les Persans ? Plusieurs anges n’ont-ils pas leurs fonctions assignées ? Il y avait un ange exterminateur, qui combattait pour les Juifs ; l’ange des voyageurs, qui conduisait Tobie. Michael était l’ange particulier des Hébreux ; selon Daniel il combat l’ange des Perses, il parle à l’ange des Grecs. Un ange d’un ordre inférieur rend compte à Michael, dans le livre de Zacharie, de l’état où il avait trouvé la terre. Chaque nation avait son ange. La version des Septante dit dans le Deutéronome que le Seigneur fit le partage des nations suivant le nombre des anges. Saint Paul, dans les Actes des apôtres, parle à l’ange de la Macédoine. Ces esprits célestes sont souvent appelés dieux dans l’Écriture, Éloïm. Car chez tous les peuples le mot qui répond à celui de theos, deus, dieu, ne signifie pas toujours le maître absolu du ciel et de la terre ; il signifie souvent être céleste, être supérieur à l’homme, mais dépendant du souverain de la nature : il est même donné quelquefois à des princes, à des juges.

Puis donc qu’il est vrai, puisqu’il est réel pour nous qu’il y a des substances célestes chargées du soin des hommes et des empires, les peuples qui ont admis cette vérité sans révélation sont bien plus dignes d’estime que de mépris.

Ce n’est donc pas dans le polythéisme qu’est le ridicule ; c’est dans l’abus qu’on en fit, c’est dans les fables populaires, c’est dans la multitude de divinités impertinentes que chacun se forgeait à son gré.

La déesse des tétons, dea Rumilia ; la déesse de l’action du mariage, dea Pertunda ; le dieu de la chaise percée, deus Stercutius ; le dieu Pet, deus Crepitus, ne sont pas assurément bien vénérables. Ces puérilités, l’amusement des vieilles et des enfants de Rome, servent seulement à prouver que le mot deus avait des acceptions bien différentes. Il est sûr que deus Crepitus, le dieu Pet, ne don-