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POLYPES.

arbres qui croissent au bord de l’eau, aux saules, aux peupliers, aux trembles, etc. C’est cela même qui démontre que le polype est un végétal. Il est si léger qu’il change de place au moindre mouvement de la goutte d’eau qui le porte ; de là on a conclu qu’il marchait. On pouvait supposer de même que les petites îles flottantes des marais de Saint-Omer sont des animaux, car elles changent souvent de place.

On a dit : Ses racines sont ses pieds, sa tige est son corps, ses branches sont des bras ; le tuyau qui compose sa tige est percé en haut, c’est sa bouche. Il y a dans ce tuyau une légère moelle blanche, dont quelques animalcules presque imperceptibles sont très-avides ; ils entrent dans le creux de ce petit jonc en le faisant courber, et mangent cette pâte légère ; c’est le polype qui prend ces animaux avec son museau, et qui s’en nourrit, quoiqu’il n’y ait pas la moindre apparence de tête, de bouche, d’estomac.

Nous avons examiné ce jeu de la nature avec toute l’attention dont nous sommes capable. Il nous a paru que cette production appelée polype ressemblait à un animal beaucoup moins qu’une carotte ou une asperge. En vain nous avons opposé à nos yeux tous les raisonnements que nous avions lus autrefois ; le témoignage de nos yeux l’a emporté.

Il est triste de perdre une illusion. Nous savons combien il serait doux d’avoir un animal qui se reproduirait de lui-même et par bouture, et qui, ayant toutes les apparences d’une plante, joindrait le règne animal au végétal.

[1]Il serait bien plus naturel de donner le rang d’animal à la plante nouvellement découverte dans l’Amérique anglaise, à laquelle on a donné le plaisant nom de Vénus gobe-mouches. C’est une espèce de sensitive épineuse dont les feuilles se replient. Les mouches sont prises dans ces feuilles, et y périssent plus sûrement que dans une toile d’araignée. Si quelqu’un de nos physiciens veut appeler animal cette plante, il ne tient qu’à lui ; il aura des partisans.

Mais si vous voulez quelque chose de plus extraordinaire, quelque chose de plus digne de l’observation des philosophes, regardez le colimaçon, qui marche un mois, deux mois entiers, après qu’on lui a coupé la tête, et auquel ensuite une tête revient garnie de tous les organes que possédait la première. Cette vérité, dont tous les enfants peuvent être témoins, vaut bien l’illusion

  1. Cet alinéa n’est pas en 1771 ; il fut ajouté en 1774. (B.)