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POLICE DES SPECTACLES.

jours, que depuis le premier Hermès jusqu’à Lucrèce et depuis Lucrèce jusqu’à Galilée.

Toute la physique ancienne est d’un écolier absurde. Il n’en est pas ainsi de la philosophie de l’âme et de ce bon sens qui, aidé du courage de l’esprit, fait peser avec justesse les doutes et les vraisemblances. C’est là le grand mérite de Lucrèce ; son troisième chant est un chef-d’œuvre de raisonnement ; il disserte comme Cicéron, il s’exprime quelquefois comme Virgile, et il faut avouer que quand notre illustre Polignac réfute ce troisième chant, il ne le réfute qu’en cardinal.

Quand je dis que le poëte Lucrèce raisonne en métaphysicien excellent dans ce troisième chant, je ne dis pas qu’il ait raison : on peut argumenter avec un jugement vigoureux, et se tromper, si on n’est pas instruit par la révélation. Lucrèce n’était point Juif ; et les Juifs, comme on sait, étaient les seuls hommes sur la terre qui eussent raison du temps de Cicéron, de Posidonius, de César et de Caton. Ensuite, sous Tibère, les Juifs n’eurent plus raison, et il n’y eut que les chrétiens qui eurent le sens commun.

Ainsi il était impossible que Lucrèce, Cicéron et César, ne fussent pas des imbéciles en comparaison des Juifs et de nous ; mais il faut convenir qu’aux yeux du reste du genre humain ils étaient de très-grands hommes.

J’avoue que Lucrèce se tua, Caton aussi, Cassius et Brutus aussi ; mais on peut fort bien se tuer, et avoir raisonné en homme d’esprit pendant sa vie.

Distinguons dans tout auteur l’homme et ses ouvrages. Racine écrit comme Virgile, mais il devient janséniste par faiblesse, et il meurt de chagrin par une faiblesse non moins grande, parce qu’un autre homme[1] en passant dans une galerie, ne l’a pas regardé : j’en suis fâché, mais le rôle de Phèdre n’en est pas moins admirable.



POLICE DES SPECTACLES[2].


On excommuniait autrefois les rois de France, et, depuis Philippe Ier jusqu’à Louis VIII, tous l’ont été solennellement, de même que tous les empereurs depuis Henri IV jusqu’à Louis de Bavière

  1. Louis XIV.
  2. Cet article était imprimé, dès 1745, dans le tome VI d’une édition des Œuvres de M. de Voltaire, sous le titre de Lettre sur les spectacles ; voyez aussi dans les Mélanges, année 1761, l’Appel à toutes les nations. (B.)