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PLATON.

intelligence suprême qui arrangea l’univers, pensait-il que cette intelligence suprême résidait en un seul lieu, comme un roi de l’Orient dans son sérail ? ou bien croyait-il que cette puissante intelligence se répand partout comme la lumière, ou comme un être encore plus fin, plus prompt, plus actif, plus pénétrant que la lumière ? Le dieu de Platon, en un mot, est-il dans la matière ? en est-il séparé ? vous qui avez lu Platon attentivement, c’est-à-dire sept ou huit songe-creux cachés dans quelque galetas de l’Europe, si jamais ces questions viennent jusqu’à vous, je vous supplie d’y répondre.

L’île barbare des Cassitérides[1] où les hommes vivaient dans les bois du temps de Platon, a produit enfin des philosophes qui sont autant au-dessus de lui que Platon était au-dessus de ceux de ses contemporains qui ne raisonnaient pas.

Parmi ces philosophes, Clarke est peut-être le plus profond ensemble et le plus clair, le plus méthodique et le plus fort, de tous ceux qui ont parlé de l’Être suprême[2].

Lorsqu’il eut donné au public son excellent livre, il se trouva un jeune gentilhomme de la province de Glocester qui lui fit avec candeur des objections aussi fortes que ses démonstrations. On peut les voir à la fin du premier volume de Clarke ; ce n’était pas sur l’existence nécessaire de l’Être suprême qu’il disputait, c’était sur son infinité et sur son immensité.

Il ne paraît pas en effet que Clarke ait prouvé qu’il y ait un être qui pénètre intimement tout ce qui existe, et que cet être, dont on ne peut concevoir les propriétés, ait la propriété de s’étendre au-delà de toute borne imaginable.

Le grand Newton a démontré qu’il y a du vide dans la nature ; mais quel philosophe pourra me démontrer que Dieu est dans ce vide, qu’il touche à ce vide, qu’il remplit ce vide ? Comment, étant aussi bornés que nous le sommes, pouvons-nous connaître ces profondeurs ? Ne nous suffit-il pas qu’il nous soit prouvé qu’il existe un maître suprême ? Il ne nous est pas donné de savoir ce qu’il est, ni comment il est.

  1. L’Angleterre.
  2. Samuel Clarke, né à Norwich en 1675, mort à Londres en 1729, se signala d’abord en propageant à l’université de Cambridge les idées de René Descartes. Quoique Clarke appartînt à l’Église anglicane, et qu’il fût recteur de l’église Saint-James, il s’affranchit des vieilles règles de la théologie parénétique, et s’abstint de s’appuyer sans cesse sur l’Écriture. Ses œuvres ont été réunies en quatre volumes in-folio (Londres, 1742). La principale est une collection de seize sermons, prononcés en 1704 et 1705, sur l’existence et les attributs de Dieu, et sur les preuves de la religion naturelle. (E. B.)