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PLATON.

soient portés dans des véhicules ; gardez-vous, dis-je, de croire que les uns soient des dieux, et que les autres ne le soient pas ; que les uns soient adorables, et qu’il y en ait d’autres qu’on ne doive ni adorer ni invoquer. Ils sont tous frères, chacun a son partage, nous leur devons à tous les mêmes honneurs. ils remplissent tous l’emploi que le verbe leur assigna quand il forma l’univers visible. »

Voilà déjà le verbe trouvé, il faut maintenant trouver les trois personnes. Elles sont dans la seconde lettre de Platon à Denis. Ces lettres ne sont pas assurément supposées. Le style est le même que celui de ses Dialogues. Il dit souvent à Denis et à Dion des choses assez difficiles à comprendre, et qu’on croirait écrites en chiffres ; mais aussi il en dit de fort claires, et qui se sont trouvées vraies longtemps après lui. Par exemple, voici comme il s’exprime dans sa septième lettre à Dion :

« J’ai été convaincu que tous les États sont assez mal gouvernés ; il n’y a guère ni bonne institution, ni bonne administration. On y vit, pour ainsi dire, au jour la journée, et tout va au gré de la fortune plutôt qu’au gré de la sagesse. »

Après cette courte digression sur les affaires temporelles, revenons aux spirituelles, à la trinité. Platon dit à Denis :

« Le roi de l’univers est environné de ses ouvrages, tout est l’effet de sa grâce. Les plus belles des choses ont en lui leur cause première ; les secondes en perfection ont en lui une seconde cause ; et il est encore la troisième cause des ouvrages du troisième degré. »

On pourrait ne pas reconnaître dans cette lettre la trinité telle que nous l’admettons ; mais c’était beaucoup d’avoir, dans un auteur grec, un garant des dogmes de l’Église naissante. Toute l’Église grecque fut donc platonicienne, comme toute l’Église latine fut péripatéticienne depuis le commencement du xiiie siècle. Ainsi deux Grecs qu’on n’a jamais entendus ont été nos maîtres à penser, jusqu’au temps où les hommes se sont mis, au bout de deux mille ans, à penser par eux-mêmes.


SECTION II[1].
QUESTIONS SUR PLATON, ET SUR QUELQUES AUTRES BAGATELLES.

Platon, en disant aux Grecs ce que tant de philosophes des autres nations avaient dit avant lui, en assurant qu’il y a une

  1. Voyez la note, page 224.