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PLATON.

ami que Notre-Dame de Lorette, avec son petit visage noir, ne gouverne pas l’univers entier : si une bonne femme entend ces paroles, et si elle les redit à d’autres bonnes femmes de la Marche d’Ancône, le sage sera lapidé comme Orphée. Voilà précisément le cas où croyaient être les premiers chrétiens qui ne disaient pas du bien de Cybèle et de Diane. Cela seul devait les attacher à Platon : les choses inintelligibles qu’il débite ensuite ne durent pas les dégoûter de lui.

Je ne reprocherai point à Platon d’avoir dit dans son Timée que le monde est un animal ; car il entend sans doute que les éléments en mouvement animent le monde, et il n’entend pas par animal un chien et un homme qui marchent, qui sentent, qui mangent, qui dorment, et qui engendrent. Il faut toujours expliquer un auteur dans le sens le plus favorable ; et ce n’est que lorsqu’on accuse les gens d’hérésie, ou quand on dénonce leurs livres, qu’il est de droit d’en interpréter malignement toutes les paroles, et de les empoisonner : ce n’est pas ainsi que j’en userai avec Platon.

Il y a d’abord chez lui une espèce de trinité qui est l’âme de la matière ; voici ses paroles : « De la substance indivisible, toujours semblable à elle-même, et de la substance divisible, il composa une troisième substance qui tient de la même et de l’autre. »

Ensuite viennent des nombres à la pythagoricienne, qui rendent la chose encore plus inintelligible, et par conséquent plus respectable. Quelle provision pour des gens qui commençaient une guerre de plume !

Ami lecteur, un peu de patience, s’il vous plaît, et un peu d’attention, « Quand Dieu eut formé l’âme du monde de ces trois substances, cette âme s’élança du milieu de l’univers aux extrémités de l’être, se répandant partout au dehors, et se repliant sur elle-même ; elle forma ainsi dans tous les temps une origine divine de la sagesse éternelle. »

Et quelques lignes après :

« Ainsi la nature de cet animal immense qu’on nomme le monde est éternelle. »

Platon, à l’exemple de ses prédécesseurs, introduit donc l’Être suprême, artisan du monde, formant ce monde avant les temps ; de sorte que Dieu ne pouvait être sans le monde, ni le monde sans Dieu, comme le soleil ne peut exister sans répandre la lumière dans l’espace, ni cette lumière voler dans l’espace sans le soleil.

Je passe sous silence beaucoup d’idées à la grecque, ou plutôt