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PLAGIAT.

en in-folio. Appelez-les, si vous voulez, libraires, et non pas auteurs. Rangez-les plutôt dans la classe des fripiers que dans celle des plagiaires.

Le véritable plagiat est de donner pour vôtres les ouvrages d’autrui, de coudre dans vos rapsodies de longs passages d’un bon livre avec quelques petits changements. Mais le lecteur éclairé, voyant ce morceau de drap d’or sur un habit de bure, reconnaît bientôt le voleur maladroit.

Ramsay, qui après avoir été presbytérien dans son village d’Écosse, ensuite anglican à Londres, puis quaker, et qui persuada enfin au célèbre Fénelon, archevêque de Cambrai, qu’il était catholique, et même qu’il avait beaucoup de penchant pour l’amour pur : Ramsay, dis-je, fit les Voyages de Cyrus, parce que son maître avait fait voyager Télémaque. Il n’y a jusque-là que de l’imitation. Dans ces voyages il copie les phrases, les raisonnements d’un ancien auteur anglais qui introduit un jeune solitaire disséquant sa chèvre morte, et remontant à Dieu par sa chèvre. Cela ressemble fort à un plagiat. Mais en conduisant Cyrus en Égypte, il se sert, pour décrire ce pays singulier, des mêmes expressions employées par Bossuet ; il le copie mot pour mot sans le citer. Voilà un plagiat dans toutes les formes. Un de mes amis le lui reprochait un jour ; Ramsay lui répondit qu’on pouvait se rencontrer, et qu’il n’était pas étonnant qu’il pensât comme Fénelon, et qu’il s’exprimât comme Bossuet. Cela s’appelle être fier comme un Écossais.

Le plus singulier de tous les plagiats est peut-être celui du P. Barre, auteur d’une grande histoire d’Allemagne, en dix volumes. On venait d’imprimer l’Histoire de Charles XII, et il en prit plus de deux cents pages, qu’il inséra dans son ouvrage[1]. Il fait dire à un duc de Lorraine précisément ce que Charles XII a dit.

Il attribue à l’empereur Arnould ce qui est arrivé au monarque suédois.

Il dit de l’empereur Rodolphe ce qu’on avait dit du roi Stanislas.

Valdemar, roi de Danemark, fait et dit précisément les mêmes choses que Charles à Render, etc., etc.

Le plaisant de l’affaire est qu’un journaliste, voyant cette prodigieuse ressemblance entre ces deux ouvrages, ne manqua pas

  1. Voyez dans le tome XIII, Annales de l’Empire, une note de Voltaire, à l’année 1543 ; dans le tome XVI, l’Avertissement de Beuchot en tête de l’Histoire de Charles XII ; et dans les Mélanges, année 1767, la xixe des Honnêtetés littéraires.