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LOIS (ESPRIT DES).

« M. l’abbé Dubos veut ôter toute espèce d’idée que les Francs soient entrés dans les Gaules en conquérants. Selon lui, nos rois, appelés par les peuples, n’ont fait que se mettre à la place et succéder aux droits des empereurs romains. (Liv. XXX, chapitre xxiv.)

Un homme plus instruit que moi a remarqué avant moi que jamais Dubos n’a prétendu que les Francs fussent partis du fond de leur pays pour venir se mettre en possession de l’empire des Gaules, par l’aveu des peuples, comme on va reccueillir une succession. Dubos dit tout le contraire : il prouve que Clovis employa les armes, les négociations, les traités, et même les concessions des empereurs romains résidants à Constantinople, pour s’emparer d’un pays abandonné. Il ne le ravit point aux empereurs romains, mais aux barbares, qui sous Odoacre avaient détruit l’empire.

Dubos dit que dans quelque partie des Gaules voisine de la Bourgogne, on désirait la domination des Francs ; mais c’est précisément ce qui est attesté par Grégoire de Tours : « Cum jam terror Francorum resonaret in bis partibus, et omnes eos amore desiderabili cuperent regnare, sanctus Aprunculus, Lingonicæ civitatis episcopus, apud Burgundiones cœpit haberi suspectus ; cumque odium de die in dieni cresceret, jussum est ut clam gladio feriretur. » (Greg. Tur. Hist., lib. II, cap. xxiii.)

Montesquieu reproche à Dubos qu’il ne saurait montrer l’existence de la république armorique : cependant Dubos l’a prouvée incontestablement par plusieurs monuments, et surtout par cette citation exacte de l’historien Zosime, liv. VI : « Totus tractus armoricus, cœteræque Gallorum provinciæ Britannos imitatae, consimili se modo liberarunt, ejectis magistratibus romanis, et sua quadam republica pro arbitrio constituta. »

Montesquieu regarde comme une grande erreur dans Dubos d’avoir dit que Clovis succéda à Childéric son père dans la dignité de maître de la milice romaine en Gaule ; mais jamais Dubos n’a dit cela. Voici ses paroles : « Clovis parvint à la couronne des Francs à l’âge de seize ans, et cet âge ne l’empêcha point d’être revêtu peu de temps après des dignités militaires de l’empire romain, que Childéric avait exercées, et qui étaient, selon l’apparence, des emplois dans la milice. » Dubos se borne ici à une conjecture qui se trouve ensuite appuyée sur des preuves évidentes.

En effet, les empereurs étaient accoutumés depuis longtemps à la triste nécessité d’opposer des barbares à d’autres barbares,