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PHILOSOPHE.

Goldoni, Vanloo, Cassini, ont offensé Dieu en s’établissant à Paris ? tous les Irlandais qui ont fait quelque fortune en France ont commis en cela un péché mortel ?

Et tu as la bêtise d’imprimer une telle extravagance, et Riballier, celle de t’approuver ! et tu mets dans la même classe Bayle, Montesquieu, et le fou de la Métrie ! et tu as senti que notre nation est assez douce, assez indulgente pour ne t’abondonner qu’au mépris.

Quoi ! tu oses calomnier ta patrie (si un jésuite en a une) ! tu oses dire « qu’on n’entend en France que des philosophes attribuer au hasard l’union et la désunion des atomes qui composent l’âme de l’homme » ! Mentiris impudentissime ; je te défie de produire un seul livre fait depuis trente ans où l’on attribue quelque chose au hasard, qui n’est qu’un mot vide de sens.

Tu oses accuser le sage Locke d’avoir dit « qu’il se peut que l’âme soit un esprit, mais qu’il n’est pas sûr qu’elle le soit, et que nous ne pouvons pas décider ce qu’elle peut et ne peut pas acquérir » !

Mentiris impudentissime. Locke, le respectable Locke dit expressément dans sa réponse au chicaneur Stillingfleet : « Je suis fortement persuadé qu’encore qu’on ne puisse pas montrer (par la seule raison ) que l’âme est immatérielle, cela ne diminue nullement l’évidence de son immortalité, parce que la fidélité de Dieu est une démonstration de la vérité de tout ce qu’il a révélé[1], et le manque d’une autre démonstration ne rend pas douteux ce qui est déjà démontré. »

Voyez d’ailleurs, à l’article Âme, comme Locke s’exprime sur les bornes de nos connaissances, et sur l’immensité du pouvoir de l’Être suprême.

Le grand philosophe lord Bolingbroke déclare que l’opinion contraire à celle de Locke est un blasphème.

Tous les Pères des trois premiers siècles de l’Église regardaient l’âme comme une matière légère, et ne la croyaient pas moins immortelle. Et nous avons aujourd’hui des cuistres de collége qui appellent athées ceux qui pensent avec les Pères de l’Église que Dieu peut donner, conserver l’immortalité à l’âme, de quelque substance qu’elle puisse être !

Tu pousses ton audace jusqu’à trouver de l’athéisme dans ces paroles : « Qui fait le mouvement dans la nature ? c’est Dieu. Qui fait végéter toutes les plantes ? c’est Dieu. Qui fait le mouvement

  1. Traduction de Coste. (Note de Voltaire.)