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PHILOSOPHE.

Vayer, un Locke, un Shaftesbury, un Sydney, un Herbert ; et voyez si vous aimeriez mieux être gouvernés par ces rois ou par ces sages.

Quand je parle des philosophes, ce n’est pas des polissons qui veulent être les singes de Diogène[1], mais de ceux qui imitent Platon et Cicéron.

Voluptueux courtisans, et vous petits hommes revêtus d’un petit emploi qui vous donne une petite autorité dans un petit pays, vous criez contre la philosophie : allez, vous êtes des Nomentanus qui vous déchaînez contre Horace, et des Cotins qui voulez qu’on méprise Boileau.

SECTION III[2].

L’empesé luthérien, le sauvage calviniste, l’orgueilleux anglican, le fanatique janséniste, le jésuite qui croit toujours régenter, même dans l’exil et sous la potence, le sorboniste qui pense être Père d’un concile, et quelques sottes que tous ces gens-là dirigent, se déchaînent tous contre le philosophe. Ce sont des chiens de différente espèce qui hurlent tous à leur manière contre un beau cheval qui paît dans une verte prairie, et qui ne leur dispute aucune des charognes dont ils se nourrissent, et pour lesquelles ils se battent entre eux.

Ils font tous les jours imprimer des fatras de théologie philosophique, des dictionnaires philosopho-théologiques ; et leurs vieux arguments traînés dans les rues, ils les appellent démonstrations ; et leurs sottises rebattues, ils les nomment lemmes et corollaires, comme les faux-monnayeurs appliquent une feuille d’argent sur un écu de plomb.

Ils se sentent méprisés par tous les hommes qui pensent, et se voient réduits à tronquer quelques vieilles imbéciles. Cet état est plus humiliant que d’avoir été chassés de France, d’Espagne et de Naples. On digère tout, hors le mépris. On dit que quand le diable fut vaincu par Raphael (comme il est prouvé), cet esprit-corps si superbe se consola très-aisément, parce qu’il savait que les armes sont journalières ; mais quand il sut que Raphael se moquait de lui, il jura de ne lui pardonner jamais. Ainsi les jésuites ne pardonnèrent jamais à Pascal ; ainsi Jurieu calomnia Bayle jusqu’au tombeau ; ainsi tous les tartufes se déchaînèrent contre Molière jusqu’à sa mort.

  1. Jean-Jacques Rousseau.
  2. Voyez la note 1 de la page 200.