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PHILOSOPHE.

Ainsi tous les persécuteurs se sont déclaré une guerre mortelle, tandis que le philosophe, opprimé par eux tous, s’est contenté de les plaindre.

On ne sait pas assez que Fontenelle, en 1713, fut sur le point de perdre ses pensions, sa place et sa liberté, pour avoir rédigé en France, vingt ans auparavant, le Traité des oracles du savant Van Dale, dont il avait retranché avec précaution tout ce qui pouvait alarmer le fanatisme. Un jésuite[1] avait écrit contre Fontenelle, il n’avait pas daigné répondre ; et c’en fut assez pour que le jésuite Le Tellier, confesseur de Louis XIV, accusât auprès du roi Fontenelle d’athéisme.

Sans M. d’Argenson, il arrivait que le digne fils d’un faussaire, procureur de Vire, et reconnu faussaire lui-même, proscrivait la vieillesse du neveu de Corneille.

Il est si aisé de séduire son pénitent que nous devons bénir Dieu que ce Le Tellier n’ait pas fait plus de mal. Il y a deux gîtes dans le monde où l’on ne peut tenir contre la séduction et la calomnie : ce sont le lit et le confessionnal.

Nous avons toujours vu les philosophes persécutés par des fanatiques ; mais est-il possible que les gens de lettres s’en mêlent aussi, et qu’eux-mêmes ils aiguisent souvent contre leurs frères les armes dont on les perce tous l’un après l’autre ?

Malheureux gens de lettres ! est-ce à vous d’être délateurs ? Voyez si jamais chez les Romains il y eut des Garasse, des Chaumeix, des Hayer[2], qui accusassent les Lucrèce, les Posidonius, les Varron, et les Pline.

Être hypocrite, quelle bassesse ! mais être hypocrite et méchant, quelle horreur ! Il n’y eut jamais d’hypocrites dans l’ancienne Rome, qui nous comptait pour une petite partie de ses sujets. Il y avait des fourbes, je l’avoue, mais non des hypocrites de religion, qui sont l’espèce la plus lâche et la plus cruelle de toutes. Pourquoi n’en voit-on point en Angleterre, et d’où vient y en a-t-il encore en France ? Philosophes, il vous sera aisé de résoudre ce problème.

  1. Jean-François Baltus, jésuite français, né à Metz en 1667, mort à Reims en 1743, est auteur d’une Réponse à l’Histoire des oracles, 1707, in-8°, et d’une Suite à la Réponse, 1708. (B.)
  2. Garasse, dénonciateur de Théophile Viau ; Chaumeix, Hayer, ennemis de Voltaire. (G. A.)