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PERSÉCUTION.

trez-moi, encore un coup, une lettre de cachet pour me couper le cou, signée de la main de Dieu, et plus bas Raphaël, ou Michel, ou Belzébuth, sans quoi, serviteur ; je m’en vais chez Pharaon égyptiaque, ou chez le roi du désert de Gérare, qui ont été tous deux amoureux de ma mère, et qui certainement auront de la bonté pour moi. Coupez, si vous voulez, le cou de mon frère Ismaël ; mais pour le mien, je vous réponds que vous n’en viendrez pas à bout.

— Comment ! c’est raisonner en vrai sage. Le Dictionnaire encyclopédique ne dirait pas mieux. Tu iras loin, le dis-je ; je t’admire de n’avoir pas dit la moindre injure à ton père Abraham, et de n’avoir point été tenté de le battre. Et dis-moi, si tu étais ce Chram que son père Clotaire, roi franc, fit brûler dans une grange ; ou don Carlos, fils de ce renard Philippe II ; ou bien ce pauvre Alexis, fils de ce czar Pierre, moitié héros et moitié tigre ?

— Ah ! monsieur, ne me parlez plus de ces horreurs ; vous me feriez détester la nature humaine. »



PERSÉCUTION[1].


Ce n’est pas Dioclétien que j’appellerai persécuteur, car il fut dix-huit ans entiers le protecteur des chrétiens ; et si dans les derniers temps de son empire il ne les sauva pas des ressentiments de Galérius, il ne fut en cela qu’un prince séduit et entraîné par la cabale au delà de son caractère, comme tant d’autres.

Je donnerai encore moins le nom de persécuteurs aux Trajan, aux Antonins ; je croirais prononcer un blasphème.

Quel est le persécuteur ? C’est celui dont l’orgueil blessé et le fanatisme en fureur irritent le prince ou les magistrats contre des hommes innocents qui n’ont d’autre crime que de n’être pas de son avis. Impudent, tu adores un Dieu, tu prêches la vertu, et tu la pratiques ; tu as servi les hommes, et tu les as consolés ; tu as établi l’orpheline, tu as secouru le pauvre, tu as changé les déserts où quelques esclaves traînaient une vie misérable en campagnes fertiles peuplées de familles heureuses ; mais j’ai découvert que tu me méprises, et que tu n’as jamais lu mon livre de controverse ; tu sais que je suis un fripon, que j’ai contrefait l’écriture de G***, que j’ai volé des**** ; tu pourrais bien le dire. Il faut que je le prévienne. J’irai donc chez le confesseur du premier ministre, ou chez le podestat ; je leur remontrerai,

  1. Raison par alphabet, 1769. (B.)