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PATRIE.

cifique contre la folie. « Cette vertu du sang d’âne, dit-il, réintègre l’âme dans ses fonctions. » Il prétend aussi qu’on guérit les fous en leur donnant la gale. Il assure de plus que pour avoir de la mémoire il faut manger du chapon, du levraut et des alouettes, et surtout se bien garder des ognons et du beurre. Cela fut imprimé en 1769[1] avec approbation et privilége du roi. Et on mettait sa santé entre les mains de maître Camus, professeur en médecine ! Pourquoi n’aurait-il pas été premier médecin du roi ? Pauvres marionnettes de l’éternel Demiourgos, qui ne savons ni pourquoi ni comment une main invisible fait mouvoir nos ressorts, et ensuite nous jette et nous entasse dans la boîte ! Répétons plus que jamais avec Aristote : Tout est qualité occulte.


PATRIE[2].
SECTION PREMIÈRE.

Nous nous bornerons ici, selon notre usage, à proposer quelques questions que nous ne pouvons résoudre.

Un juif a-t-il une patrie ? S’il est né à Coïmbre, c’est au milieu d’une troupe d’ignorants absurdes qui argumenteront contre lui, et auxquels il ferait des réponses absurdes s’il osait répondre. Il est surveillé par des inquisiteurs qui le feront brûler s’ils savent qu’il ne mange point de lard, et tout son bien leur appartiendra. Sa patrie est-elle à Coïmbre ? Peut-il aimer tendrement Coïmbre ? Peut-il dire comme dans les Horaces de Pierre Corneille (acte Ier, scène ire et acte IIe scène iiie) :

Albe, mon cher pays et mon premier amour...
Mourir pour le pays est un si digne sort
Qu’on briguerait en foule une si belle mort.

— Tarare !

Sa patrie est-elle Jérusalem ? Il a ouï dire vaguement qu’autrefois ses ancêtres, quels qu’ils fussent, ont habité ce terrain pierreux et stérile, bordé d’un désert abominable, et que les Turcs sont maîtres aujourd’hui de ce petit pays, dont ils ne retirent presque rien. Jérusalem n’est pas sa patrie. Il n’en a

  1. La Médecine de l’esprit, 1769, in-4°, ou deux volumes in-12, est d’Antoine Le Camus (et non Camus). Une première édition avait paru en 1753, deux volumes in-12.
  2. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771, l’article n’avait que les deux premières sections. (B.)