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PASSIONS.

divin Demiourgos et ses lois inconnues qui opèrent tout en nous ; et qu’à parler encore mieux, nous ne saurons jamais de quoi il s’agit.

Mon homme se fâche ; le sang lui monte au visage. Il me battrait s’il était le plus fort, et s’il n’était retenu par les bienséances. Son cœur se gonfle ; la systole et la diastole se font irrégulièrement ; son cervelet est comprimé ; il tombe en apoplexie. Quel rapport y avait-il donc entre ce sang, ce cœur, ce cervelet, et une vieille opinion du docteur qui était contraire à la mienne ? Un esprit pur, intellectuel, tombe-t-il en syncope quand on n’est pas de son avis ? J’ai proféré des sons ; il a proféré des sons ; et le voilà en apoplexie, le voilà mort.

Je suis à table, moi et mon âme, en Sorbonne, au prima mensis, avec cinq ou six docteurs, socii sorbonici. On nous donne d’un mauvais vin frelaté : d’abord nos âmes sont folles ; une demi-heure après, nos âmes sont stupides, elles sont nulles ; et le lendemain, nos mêmes docteurs donnent un beau décret par lequel l’âme, ne tenant point de place et étant absolument immatérielle, est logée matériellement dans le corps calleux, pour faire leur cour au chirurgien La Peyronie[1].

Un convive est à table gaiement. On lui apporte une lettre qui lui inspire l’étonnement, la tristesse, et la crainte. Dans l’instant même les muscles de son ventre se contractent et se relâchent ; le mouvement péristaltique des intestins s’augmente ; le sphincter du rectum s’ouvre avec une petite convulsion, et mon homme, au lieu d’achever son dîner, fait une copieuse évacuation. Dis-moi donc quelle connexion secrète la nature a mise entre une idée et une selle ?

De tous ceux qu’on a trépanés, il y en a toujours plusieurs qui restent imbéciles. On a donc offensé les fibres pensantes de leur cerveau : et où sont ces fibres pensantes ? Sanchez ! ô magister De Grillandis, Tamponel, Riballier ! ô Cogé pecus, régent de seconde et recteur de l’Université, rendez-moi raison nettement de tout cela, si vous pouvez.

Comme j’écrivais ces choses au mont Krapack, pour mon instruction particulière, on m’a apporté le livre de la Médecine de l’esprit du docteur Camus, professeur en médecine de l’Université de Paris, J’ai espéré d’y voir la solution de toutes mes difficultés. Qu’y ai-je trouvé ? Rien. Ah ! monsieur Camus, vous n’avez pas fait avec esprit la Médecine de l’esprit. C’est lui qui recommande fortement le sang d’ânon, tiré derrière l’oreille, comme un spé-

  1. Chirurgien du roi.