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PARADIS.

signifiait un lieu planté d’arbres fruitiers ; ensuite on donna ce nom à des jardins plantés d’arbres d’ombrage. Tels furent dans l’antiquité les jardins de Saana vers Éden dans l’Arabie Heureuse, connus si longtemps avant que les hordes des Hébreux eussent envahi une partie de la Palestine.

Ce mot paradis n’est célèbre chez les Juifs que dans la Genèse. Quelques auteurs juifs canoniques parlent de jardins ; mais aucun n’a jamais dit un mot du jardin nommé paradis terrestre. Comment s’est-il pu faire qu’aucun écrivain juif, aucun prophète juif, aucun cantique juif n’ait cité ce paradis terrestre dont nous parlons tous les jours ? Cela est presque incompréhensible. C’est ce qui a fait croire à plusieurs savants audacieux que la Genèse n’avait été écrite que très-tard.

Jamais les Juifs ne prirent ce verger, cette plantation d’arbres, ce jardin, soit d’herbes, soit de fleurs, pour le ciel.

Saint Luc est le premier qui fasse entendre le ciel par ce mot paradis, quand Jésus-Christ dit au bon larron[1] : « Tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis. »

Les anciens donnèrent le nom de ciel aux nuées : ce nom n’était pas convenable, attendu que les nuées touchent à la terre par les vapeurs dont elles sont formées, et que le ciel est un mot vague qui signifie l’espace immense dans lequel sont tant de soleils, de planètes et de comètes : ce qui ne ressemble nullement à un verger.

Saint Thomas dit qu’il y a trois paradis : le terrestre, le céleste, et le spirituel. Je n’entends pas trop la différence qu’il met entre le spirituel et le céleste. Le verger spirituel est, selon lui, la vision béatifique[2]. Mais c’est précisément ce qui constitue le paradis céleste, c’est la jouissance de Dieu même. Je ne prends pas la liberté de disputer contre l’ange de l’école. Je dis seulement : Heureux qui peut toujours être dans un de ces trois paradis !

Quelques savants curieux ont cru que le jardin des Hespérides, gardé par un dragon, était une imitation du jardin d’Éden gardé par un bœuf ailé, ou par un chérubin. D’autres savants plus téméraires ont osé dire que le bœuf était une mauvaise copie du dragon, et que les Juifs n’ont jamais été que de grossiers plagiaires ; mais c’est blasphémer, et cette idée n’est pas soutenable.

Pourquoi a-t-on donné le nom de paradis à des cours carrées au devant d’une église ?

  1. Luc, chapitre xxiii. v. 43. (Note de Voltaire.)
  2. 1re partie, question cii. (Id.)