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OVIDE.

empereur Auguste faisant quelque chose de pis, torva tuentibus hircis[1]. » Il est de la plus grande probabilité qu’Ovide surprit Auguste dans un inceste. Un auteur presque contemporain, nommé Minutianus Apuleius, dit : « Pulsum quoque in exilium quod Augusti incestum vidisset. »

Octave Auguste prit le prétexte du livre innocent de l’Art d’aimer, livre très-décemment écrit, et dans lequel il n’y a pas un mot obscène, pour envoyer un chevalier romain sur la mer Noire. Le prétexte était ridicule. Comment Auguste, dont nous avons encore des vers remplis d’ordures, pouvait-il sérieusement exiler Ovide à Tomes, pour avoir donné à ses amis, plusieurs années auparavant, des copies de l’Art d’aimer ? Comment avait-il le front de reprocher à Ovide un ouvrage écrit avec quelque modestie, dans le temps qu’il approuvait les vers où Horace prodigue tous les termes de la plus infâme prostitution, et le futuo, et le mentula, et le cunnus ? Il y propose indifféremment ou une fille lascive, ou un beau garçon qui renoue sa longue chevelure, ou une servante, ou un laquais : tout lui est égal. Il ne lui manque que la bestialité. Il y a certainement de l’impudence à blâmer Ovide quand on tolère Horace. Il est clair qu’Octave alléguait une très-méchante raison, n’osant parler de la bonne. Une preuve qu’il s’agissait de quelque stupre, de quelque inceste, de quelque aventure secrète[2] de la sacrée famille impériale, c’est que le bouc de Caprée, Tibère, immortalisé par les médailles de ses débauches, Tibère, monstre de lasciveté comme de dissimulation, ne rappela point Ovide. Il eut

  1. Virgile, Égl. iii, 8.
  2. « Le silence des historiens contemporains (dit M. Villenave dans sa Vie d’Ovide, page 91) laissera toujours ignorer à la postérité les vrais motifs de l’exil d’Ovide. » Mais M. Villenave propose lui-même de nouvelles conjectures plus probables qu’aucune de celles qui avaient été hasardées avant lui. « Ovide n’avait-il pas été témoin, non de quelque inceste de l’empereur, mais de quelque retour secret pour le légitime héritier de l’empire, ou de quelque scène violente et honteuse entre Tibère, Auguste et Livia ? » Après avoir développé ses raisons, M. Villenave ajoute : « Ovide n’osa, dans les trois premières années de son exil, nommer aucun de ses amis lorsqu’il leur écrivait ; il craignait de les compromettre.... Lorsque Auguste parut vouloir rappeler de l’exil son petit-fils, lorsqu’il fut permis de lui parler des malheurs d’Ovide sans l’offenser, l’amitié plus libre devint moins circonspecte ; et dans les quatre livres des Pontiques, écrits pendant les dernières années d’Ovide, le poëte osa nommer et se plut à nommer tous ses amis. » Cette opinion a été adoptée par M. Ginguené, qui, après avoir (dans la Décade, n° 15 de l’an IX — 1801) donné un extrait de la longue et savante dissertation de Tiraboschi sur les causes de l’exil d’Ovide, et avoir adopté son opinion, n’en connaissant pas alors de meilleure, a dit depuis (Mercure, septembre 1809) : « M. Villenave en avance une toute nouvelle dans sa Vie d’Ovide, et j’avoue qu’elle me paraît avoir beaucoup de probabilité. » (B.)