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ORAISON.

beaux morceaux de l’antiquité, et que l’hymne Ut queant laxis est un des plus plats ouvrages que nous ayons eus dans les temps barbares de la décadence de la langue latine. L’Église catholique, dans ces temps-là, cultivait mal l’éloquence et la poésie. On sait bien que Dieu préfère de mauvais vers récités avec un cœur pur, aux plus beaux vers du monde bien chantés par des impies ; mais enfin de bons vers n’ont jamais rien gâté, toutes choses étant d’ailleurs égales.

Rien n’approcha jamais parmi nous des jeux séculaires qu’on célébrait de cent dix ans en cent dix ans ; notre jubilé n’en est qu’une bien faible copie. On dressait trois autels magnifiques sur les bords du Tibre ; Rome entière était illuminée pendant trois nuits ; quinze prêtres distribuaient l’eau lustrale et des cierges aux Romains et aux Romaines qui devaient chanter les prières. On sacrifiait d’abord à Jupiter comme au grand dieu, au maître des dieux, et ensuite à Junon, à Apollon, à Latone, à Diane, à Cérès, à Pluton, à Proserpine, aux Parques, comme à des puissances subalternes. Chacune de ces divinités avait son hymne et ses cérémonies. Il y avait deux chœurs, l’un de vingt-sept garçons, l’autre de vingt-sept filles, pour chacun des dieux. Enfin le dernier jour les garçons et les filles couronnés de fleurs chantaient l’ode d’Horace.

Il est vrai que dans les maisons on chantait à table ses autres odes pour le petit Ligurinus, pour Lyciscus, et pour d’autres petits fripons, lesquels n’inspiraient pas la plus grande dévotion ; mais il y a temps pour tout : pictoribus atque poetis[1]. Le Carrache, qui dessina les figures de l’Arétin, peignit aussi des saints ; et dans tous nos colléges nous avons passé à Horace ce que les maîtres de l’empire romain lui passaient sans difficulté.

Pour des formules de prières, nous n’avons que de très-légers fragments de celle qu’on récitait aux mystères d’Isis. Nous l’avons citée ailleurs[2], nous la rapporterons encore ici, parce qu’elle n’est pas longue et qu’elle est belle.

« Les puissances célestes te servent, les enfers te sont soumis, l’univers tourne sous ta main, tes pieds foulent le Tartare, les astres répondent à ta voix, les saisons reviennent à tes ordres, les éléments t’obéissent. »

Nous répéterons aussi la formule qu’on attribue à l’ancien Orphée, laquelle nous paraît encore supérieure à celle d’Isis :

  1. Horace. Art poét., 9.
  2. Philosophie de l’histoire, tome XI, page 69.