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ORACLES.

rain de Sodome et de Gomorrhe, au contraire, ne produisant ni blé, ni fruits, ni légumes, et manquant d’eau potable, ne pouvait être qu’un désert affreux, habité par des misérables trop occupés de leurs besoins pour connaître les voluptés.

Enfin, ces superbes asiles de la fainéantise ayant été supprimés par acte du parlement, on étala dans la place publique tous les instruments de leurs fraudes pieuses : le fameux crucifix de Boksley, qui se remuait et qui marchait comme une marionnette ; des fioles de liqueur rouge qu’on faisait passer pour du sang que versaient quelquefois les statues des saints, quand ils étaient mécontents de la cour : des moules de fer-blanc dans lesquels on avait soin de mettre continuellement des chandelles allumées, pour faire croire au peuple que c’était la même chandelle qui ne s’éteignait jamais ; des sarbacanes, qui passaient de la sacristie dans la voûte de l’église, par lesquelles des voix célestes se faisaient quelquefois entendre à des dévotes payées pour les écouter ; enfin tout ce que la friponnerie inventa jamais pour subjuguer l’imbécillité.

Alors plusieurs savants de l’Europe, bien certains que les moines et non les diables avaient mis en usage tous ces pieux stratagèmes, commencèrent à croire qu’il en avait été de même chez les anciennes religions ; que tous les oracles et tous les miracles tant vantés dans l’antiquité n’avaient été que des prestiges de charlatans ; que le diable ne s’était jamais mêlé de rien ; mais que seulement les prêtres grecs, romains, syriens, égyptiens, avaient été encore plus habiles que nos moines.

Le diable perdit donc beaucoup de son crédit, jusqu’à ce qu’enfin le bonhomme Bekker, dont vous pouvez consulter l’article[1], écrivit son ennuyeux livre contre le diable, et prouva par cent arguments qu’il n’existait point. Le diable ne lui répondit point ; mais les ministres du saint Évangile, comme vous l’avez vu, lui répondirent ; ils punirent le bon Bekker d’avoir divulgué leur secret, et lui ôtèrent sa cure ; de sorte que Bekker fut la victime de la nullité de Beelzébuth.

C’était le sort de la Hollande de produire les plus grands ennemis du diable. Le médecin Van Dale, philosophe humain, savant très-profond, citoyen plein de charité, esprit d’autant plus hardi que sa hardiesse était fondée sur la vertu, entreprit enfin d’éclairer les hommes, toujours esclaves des anciennes erreurs, et toujours épaississant le bandeau qui leur couvre les yeux,

  1. Tome XVII, page 559.