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ORACLES.

les miracles du diacre Pâris ? Il est clair que tous ces peuples n’ont aucune opinion sur les choses dont ils n’ont point d’idées.

Ils ont un sentiment confus de leurs coutumes, et ne vont pas au delà de cet instinct. Tels sont les peuples qui habitent les côtes de la mer Glaciale dans l’espace de quinze cents lieues ; tels sont les habitants des trois quarts de l’Afrique, et ceux de presque toutes les îles de l’Asie, et vingt hordes de Tartares, et presque tous les hommes uniquement occupés du soin pénible et toujours renaissant de pourvoir à leur subsistance ; tels sont à deux pas de nous la plupart des Morlaques et des Uscoques, beaucoup de Savoyards, et quelques bourgeois de Paris.

Lorsqu’une nation commence à se civiliser, elle a quelques opinions qui toutes sont fausses. Elle croit aux revenants, aux sorciers, à l’enchantement des serpents, à leur immortalité, aux possessions du diable, aux exorcismes, aux aruspices. Elle est persuadée qu’il faut que les grains pourrissent en terre pour germer, et que les quartiers de la lune sont les causes des accès de fièvre.

Un talapoin persuade à ses dévotes que le dieu Sammonocodom a séjourné quelque temps à Siam, et qu’il a raccourci tous les arbres d’une forêt qui l’empêchaient de jouer à son aise au cerf-volant, qui était son jeu favori. Cette opinion s’enracine dans les têtes, et à la fin un honnête homme qui douterait de cette aventure de Sammonocodom courrait risque d’être lapidé. Il faut des siècles pour détruire une opinion populaire.

On la nomme la reine du monde ; elle l’est si bien que quand la raison vient la combattre, la raison est condamnée à la mort. Il faut qu’elle renaisse vingt fois de ses cendres pour chasser enfin tout doucement l’usurpatrice.



ORACLES.


SECTION PREMIÈRE[1].


Depuis que la secte des pharisiens, chez le peuple juif, eut fait connaissance avec le diable, quelques raisonneurs d’entre eux commencèrent à croire que ce diable et ses compagnons inspiraient chez toutes les autres nations les prêtres et les statues qui rendaient des oracles. Les saducéens n’en croyaient rien, ils n’ad-

  1. Cette première section ne parut qu’en 1774, dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie, et faisait alors tout l’article.