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NUDITÉ.

D’où vient cette espèce de pudeur ? Était-ce l’instinct d’allumer des désirs en voilant ce qu’on aimait à découvrir ?

Est-il bien vrai que chez des nations un peu plus policées, comme les Juifs et demi-Juifs, il y ait eu des sectes entières qui n’aient voulu adorer Dieu qu’en se dépouillant de tous leurs habits ? Tels ont été, dit-on, les adamites et les abéliens. Ils s’assemblaient tout nus pour chanter les louanges de Dieu : saint Épiphane et saint Augustin le disent. Il est vrai qu’ils n’étaient pas contemporains, et qu’ils étaient fort loin de leur pays. Mais enfin cette folie est possible ; elle n’est pas même plus extraordinaire, plus folie que cent autres folies qui ont fait le tour du monde l’une après l’autre.

Nous avons vu[1] à l’article Emblème qu’aujourd’hui même encore les mahométans ont des saints qui sont fous, et qui vont nus comme des singes. Il se peut très-bien que des énergumènes aient cru qu’il vaut mieux se présenter à la Divinité dans l’état où elle nous a formés, que dans le déguisement inventé par les hommes. Il se peut qu’ils aient montré tout par dévotion. Il y a si peu de gens bien faits dans les deux sexes que la nudité pouvait inspirer la chasteté, ou plutôt le dégoût, au lieu d’augmenter les désirs.

On dit surtout que les abéliens renonçaient au mariage. S’il y avait parmi eux de beaux garçons et de belles filles, ils étaient pour le moins comparables à saint Adhelme et au bienheureux Robert d’Arbrisselle, qui couchaient avec les plus jolies personnes, pour mieux faire triompher leur continence.

J’avoue pourtant qu’il eût été assez plaisant de voir une centaine d’Hélènes et de Pâris chanter des antiennes, et se donner le baiser de paix, et faire les agapes.

Tout cela montre qu’il n’y a point de singularité, point d’extravagance, point de superstition qui n’ait passé par la tête des hommes. Heureux quand ces superstitions ne troublent pas la société et n’en font pas une scène de discorde, de haine, et de fureur ! Il vaut mieux sans doute prier Dieu tout nu, que de souiller de sang humain ses autels et les places publiques.

  1. Tome XVIII, page 523.