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NEWTON ET DESCARTES.


Une preuve de sa bonne foi, c’est qu’il a commenté l’Apocalypse[1]. Il y trouve clairement que le pape est l’antechrist, et il explique d’ailleurs ce livre comme tous ceux qui s’en sont mêlés. Apparemment qu’il a voulu par ce commentaire consoler la race humaine de la supériorité qu’il avait sur elle.

Bien des gens, en lisant le peu de métaphysique que Newton a mis à la fin de ses Principes mathématiques, y ont trouvé quelque chose d’aussi obscur que l’Apocalypse. Les métaphysiciens et les théologiens ressemblent assez à cette espèce de gladiateurs qu’on faisait combattre les yeux couverts d’un bandeau ; mais quand Newton travailla les yeux ouverts à ses mathématiques, sa vue porta aux bornes du monde.

Il a inventé le calcul qu’on appelle de l’infini ; il a découvert et démontré un principe nouveau qui fait mouvoir toute la nature. On ne connaissait point la lumière avant lui ; on n’en avait que des idées confuses et fausses. Il a dit : Que la lumière soit connue, et elle l’a été.

Les télescopes de réflexion ont été inventés par lui. Le premier a été fait de ses mains ; et il a fait voir pourquoi on ne peut pas augmenter la force et la portée des télescopes ordinaires. Ce fut à l’occasion de son nouveau télescope qu’un jésuite allemand prit Newton pour un ouvrier, pour un faiseur de lunettes, artifex quidam nomine Newton, dit-il dans un petit livre. La postérité l’a bien vengé depuis. On lui faisait en France plus d’injustice, on le prenait pour un faiseur d’expériences qui s’était trompé ; et parce que Mariotte se servit de mauvais prismes, on rejeta les découvertes de Newton.

Il fut admiré de ses compatriotes dès qu’il eut écrit et opéré. Il n’a été bien connu en France qu’au bout de quarante années. Mais en récompense nous avions la matière cannelée et la matière rameuse de Descartes, et les petits tourbillons mollasses du révérend père Malebranche, et le système de M. Privât de Molières, qui ne vaut pas pourtant Poquelin de Molière.

De tous ceux qui ont un peu vécu avec monsieur le cardinal de Polignac, il n’y a personne qui ne lui ait entendu dire que Newton était péripatéticien, et que ses rayons colorifiques, et surtout son attraction, sentaient beaucoup l’athéisme. Le cardinal de Polignac joignait à tous les avantages qu’il avait reçus de la nature une très-grande éloquence ; il faisait des vers latins

  1. Voyez Apocalypse, tome XVII, pages 289-290 ; et dans la Correspondance, une lettre du roi de Prusse, de janvier 1750.