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LOIS (ESPRIT DES).

été adoptée par quelque autre monarchie que la France. Il n’y a pas un seul État sur la terre qui ait osé se couvrir d’un tel opprobre. Ce monstre est né de la prodigalité d’un roi devenu indigent, et de la vanité de quelques bourgeois dont les pères avaient de l’argent[1]. On a toujours attaqué cet infâme abus par des cris impuissants, parce qu’il eût fallu rembourser les offices qu’on avait vendus. Il eût mieux valu mille fois, dit un grand jurisconsulte, vendre le trésor de tous les couvents et l’argenterie de toutes les églises, que de vendre la justice. Lorsque François Ier prit la grille d’argent de Saint-Martin, il ne fit tort à personne : saint Martin ne se plaignit point, il se passe très-bien de sa grille ; mais vendre la place de juge, et faire jurer à ce juge qu’il ne l’a pas achetée, c’est une bassesse sacrilége.

Plaignons Montesquieu d’avoir déshonoré son ouvrage par de tels paradoxes ; mais pardonnons-lui. Son oncle avait acheté une charge de président en province, et il la lui laissa. On retrouve l’homme partout. Nul de nous n’est sans faiblesse.

[2]« Auguste, lorsqu’il rétablit les fêtes Lupercales, ne voulut pas que les jeunes gens courussent nus » (liv. XXIV, chap. xv), et il cite Suétone. Mais voici le texte de Suétone[3] : Lupercalibus vetuit currere imberbes : il défendit qu’on courût dans les Lupercales avant l’âge de puberté. C’est précisément le contraire de ce que Montesquieu avance.

« Pour les vertus, Aristote ne peut croire qu’il y en ait de propres aux esclaves. » (Liv. IV, chap. iii.) — Aristote dit en termes exprès : « Il faut qu’ils aient les vertus nécessaires à leur état, la tempérance et la vigilance. » (De la République, liv. I, chap. xiii.)

« Je trouve dans Strabon, que quand à Lacédémone une sœur épousait son frère, elle avait pour sa dot la moitié de la portion de son frère. » (Liv. V, chap. v.) — Strabon (liv. X) parle ici des Crétois, et non des Lacédémoniens.

Il fait dire à Xénophon que « dans Athènes un homme riche serait au désespoir que l’on crût qu’il dépendît du magistrat ». (Liv. V, chap. vii.) — Xénophon en cet endroit ne parle point d’Athènes. Voici ses paroles : « Dans les autres villes, les puissants ne veulent pas qu’on les soupçonne de craindre les magistrats[4]. »

  1. Plusieurs phrases de la fin de cet alinéa ont été reproduites par Voltaire dans le paragraphe xxvii de son Commentaire sur l’Esprit des lois : voyez les Mélanges, année 1777.
  2. Cet alinéa n’est pas dans 1771 ; il est posthume. (B.)
  3. Chapitre xxxi.
  4. Xénophon, République de Lacédémone, chapitre viii.