faire naître une mouche. Là où le vulgaire rit, le philosophe admire ; et il rit où le vulgaire ouvre de grands yeux stupides d’étonnement.
Bavards prédicateurs, extravagants controversistes, tâchez de vous souvenir que votre maître n’a jamais annoncé que le sacrement était le signe visible d’une chose invisible ; il n’a jamais admis quatre vertus cardinales et trois théologales ; il n’a jamais examiné si sa mère était venue au monde maculée ou immaculée ; il n’a jamais dit que les petits enfants qui mouraient sans baptême seraient damnés. Cessez de lui faire dire des choses auxquelles il ne pensa point. Il a dit, selon la vérité aussi ancienne que le monde : Aimez Dieu et votre prochain. Tenez-vous-en là, misérables ergoteurs ; prêchez la morale, et rien de plus. Mais observez-la, cette morale : que les tribunaux ne retentissent plus de vos procès ; n’arrachez plus par la griffe d’un procureur un peu de farine à la bouche de la veuve et de l’orphelin ; ne disputez plus un petit bénéfice avec la même fureur qu’on disputa la papauté dans le grand schisme d’Occident. Moines, ne mettez plus (autant qu’il est en vous) l’univers à contribution ; et alors nous pourrons vous croire.
[2]Je viens de lire ces mots dans une déclamation en quatorze volumes, intitulée Histoire du Bas-Empire[3] :
« Les chrétiens avaient une morale ; mais les païens n’en avaient point. »
Ah ! monsieur Le Beau, auteur de ces quatorze volumes, où avez-vous pris cette sottise ? Eh ! qu’est-ce donc que la morale de Socrate, de Zaleucus, de Charondas, de Cicéron, d’Épictète, de Marc-Antonin ?
Il n’y a qu’une morale, monsieur Le Beau, comme il n’y a qu’une géométrie. Mais, me dira-t-on, la plus grande partie des hommes ignore la géométrie. Oui ; mais dès qu’on s’y applique
- ↑ Dans le Dictionnaire philosophique, édition de 1766, l’article commençait aux mots : « Je viens de lire. » Dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771, l’article entier se composait de l’alinéa : « Bavards prédicateurs, etc. » (B.)
- ↑ Commencement de l’article dans le Dictionnaire philosophique, en 1766. (B.)
- ↑ Lorsque Voltaire écrivait, il n’avait encore paru que quatorze volumes de l’Histoire du Bas-Empire, par Le Beau. Cet auteur étant mort le 13 mars 1778, pendant l’impression du vingt-deuxième volume, Ameilhon acheva ce volume, et continua l’ouvrage, qui a vingt-sept volumes, dont le dernier, publié en 1811, est en deux parties. On y a joint deux volumes de tables.