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MONSTRES.

derrière. Les ovistes ne font comprendre ni ne comprennent par quel art une jument peut avoir dans son œuf autre chose qu’un cheval. Et les animalculistes ne voient point comment un petit embryon d’âne vient mettre ses oreilles dans une matrice de cavale.

Celui qui, dans sa Vénus physique, prétendit que tous les animaux et tous les monstres se formaient par attraction, réussit encore moins que les autres à rendre raison de ces phénomènes si communs et si surprenants.

Hélas ! mes amis, nul de vous ne sait comment il fait des enfants : vous ignorez les secrets de la nature dans l’homme, et vous voulez les deviner dans le mulet ?

À toute force vous pourrez dire d’un monstre par défaut : Toute la semence nécessaire n’est pas parvenue à sa place, ou bien le petit ver spermatique a perdu quelque chose de sa substance, ou bien l’œuf s’est froissé. Vous pourrez, sur un monstre par excès, imaginer que quelques parties superflues du sperme ont surabondé ; que de deux vers spermatiques réunis, l’un n’a pu animer qu’un membre de l’animal, et que ce membre est resté de surérogation ; que deux œufs se sont mêlés, et qu’un de ces œufs n’a produit qu’un membre, lequel s’est joint au corps de l’autre.

Mais que direz-vous de tant de monstruosités par addition de parties animales étrangères ? Comment expliquerez-vous une écrevisse sur le cou d’une fille ? Une queue de rat sur une cuisse, et surtout les quatre pis de vache avec la queue qu’on a vus à la foire Saint-Germain ? Vous serez réduits à supposer que la mère de cette femme était de la famille de Pasiphaé.

Allons, courage, disons ensemble : Que sais-je ?



MONTAGNE[1].


C’est une fable bien ancienne, bien universelle, que celle de la montagne qui, ayant effrayé tout le pays par ses clameurs en travail d’enfant, fut sifflée de tous les assistants quand elle ne mit au monde qu’une souris. Le parterre n’était pas philosophe. Les siffleurs devaient admirer. Il était aussi beau à la montagne d’accoucher d’une souris qu’à la souris d’accoucher d’une montagne. Un rocher qui produit un rat est quelque chose de très-prodigieux ; et jamais la terre n’a vu rien qui approche d’un tel miracle. Tous les globes de l’univers ensemble ne pourraient pas

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)