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MOÏSE.
SECTION II[1].

En vain plusieurs savants ont cru que le Pentateuque ne peut avoir été écrit par Moïse[2]. Ils disent que par l’Écriture même il est avéré que le premier exemplaire connu fut trouvé du temps du roi Josias, et que cet unique exemplaire fut apporté au roi par le secrétaire Saphan. Or, entre Moïse et cette aventure du secrétaire Saphan, il y a mille cent soixante-sept années par le comput hébraïque. Car Dieu apparut à Moïse dans le buisson ardent l’an du monde 2213, et le secrétaire Saphan publia le livre de la loi l’an du monde 3380. Ce livre, trouvé sous Josias, fut inconnu jusqu’au retour de la captivité de Babylone ; et il est dit que ce fut Esdras, inspiré de Dieu, qui mit en lumière toutes les saintes Écritures.

Mais[3] que ce soit Esdras ou un autre qui ait rédigé ce livre, cela est absolument indifférent dès que le livre est inspiré. Il n’est point dit dans le Pentateuque que Moïse en soit l’auteur : il serait donc permis de l’attribuer à un autre homme à qui l’Esprit divin

  1. Dans le Dictionnaire philosophique, 1764, cette section formait tout l’article, qui commençait ainsi : « Plusieurs savants. » (B.)
  2. Est-il bien vrai qu’il y ait eu un Moïse ? Si un homme qui commandait à la nature entière eût existé chez les Égyptiens, de si prodigieux événements n’auraient-ils pas fait la partie principale de l’histoire d’Égypte ? Sanchoniathon, Manéthon, Mégasthène, Hérodote, n’en auraient-ils point parlé ? Josèphe l’historien a recueilli tous les témoignages possibles en faveur des Juifs ; il n’ose dire qu’aucun des auteurs qu’il cite ait dit un seul mot des miracles de Moïse. Quoi ! le Nil aura été changé en sang, un ange aura égorgé tous les premiers-nés dans l’Égypte, la mer se sera ouverte, ses eaux auront été suspendues à droite et à gauche, et nul auteur n’en aura parlé ! et les nations auront oublié ces prodiges ; et il n’y aura qu’un petit peuple d’esclaves barbares qui nous aura conté ces histoires, des milliers d’années après l’événement !

    Quel est donc ce Moïse inconnu à la terre entière jusqu’au temps où un Ptolomée eut, dit-on, la curiosité de faire traduire en grec les écrits des Juifs ? Il y avait un grand nombre de siècles que les fables orientales attribuaient à Bacchus tout ce que les Juifs ont dit de Moïse. Bacchus avait passé la mer Rouge à pied sec, Bacchus avait changé les eaux en sang, Bacchus avait journellement opéré des miracles avec sa verge : tous ces faits étaient chantés dans les orgies de Bacchus avant qu’on eût le moindre commerce avec les Juifs, avant qu’on sût seulement si ce pauvre peuple avait des livres. N’est-il pas de la plus extrême vraisemblance que ce peuple si nouveau, si longtemps errant, si tard connu, établi si tard en Palestine, prit avec la langue phénicienne les fables phéniciennes, sur lesquelles il enchérit encore, ainsi que font tous les imitateurs grossiers ? Un peuple si pauvre, si ignorant, si étranger dans tous les arts, pouvait-il faire autre chose que de copier ses voisins ? Ne sait-on pas que jusqu’au nom d’Adonaï, d’Ihaho, d’Éloï ou Éloa, qui signifia Dieu chez la nation juive, tout était phénicien ? (Note de Voltaire.) — Cette note est omise dans l’édition Firmin-Didot.

  3. 1764 : « Or que ce soit, etc. » (B.)