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MOÏSE.

épouvantent ; des noms de plusieurs villes qui n’étaient pas encore bâties ; des préceptes donnés aux rois, dans un temps où non-seulement les Juifs n’avaient point de rois, mais où il n’était pas probable qu’ils en eussent jamais, puisqu’ils vivaient dans des déserts sous des tentes, à la manière des Arabes Bédouins.

Ce qui lui paraît surtout de la contradiction la plus palpable, c’est le don de quarante-huit villes avec leurs faubourgs fait aux lévites, dans un pays où il n’y avait pas un seul village : c’est principalement sur ces quarante-huit villes qu’il relance Abbadie, et qu’il a même la dureté de le traiter avec l’horreur et le mépris d’un seigneur de la chambre haute et d’un ministre d’État pour un petit prêtre étranger qui veut faire le raisonneur.

Je prendrai la liberté de représenter au vicomte de Bolingbroke, et à tous ceux qui pensent comme lui, que non-seulement la nation juive a toujours cru à l’existence de Moïse et à celle de ses livres, mais que Jésus-Christ même lui a rendu témoignage. Les quatre évangélistes, les Actes des apôtres, la reconnaissent ; saint Matthieu dit expressément que Moïse et Élie apparurent à Jésus-Christ sur la montagne, pendant la nuit de la transfiguration, et saint Luc en dit autant.

Jésus-Christ déclare dans saint Matthieu qu’il n’est point venu pour abolir cette loi, mais pour l’accomplir. On renvoie souvent dans le Nouveau Testament à la loi de Moïse et aux prophètes ; l’Église entière a toujours cru le Pentateuque écrit par Moïse ; et de plus de cinq cents sociétés différentes qui se sont établies depuis si longtemps dans le christianisme, aucune n’a jamais douté de l’existence de ce grand prophète : il faut donc soumettre notre raison, comme tant d’hommes ont soumis la leur.

Je sais fort bien que je ne gagnerai rien sur l’esprit du vicomte ni de ses semblables. Ils sont trop persuadés que les livres juifs ne furent écrits que très-tard, qu’ils ne furent écrits que pendant la captivité des deux tribus qui restaient. Mais nous aurons la consolation d’avoir l’Église pour nous.

[1]Si vous voulez vous instruire et vous amuser de l’antiquité, lisez la vie de Moïse à l’article Apocryphes.

  1. Cette phrase fut ajoutée, en 1774, dans l’édition in-4o. Elle y remplaça le morceau auquel elle renvoie, tome XVII, pages 294-298 (de la Vie de Moïse, et Fragment de la Vie de Moïse), et qui était terminé ainsi : « Il n’est guère possible de dire précisément en quel temps cette histoire fut écrite ; mais elle est certainement d’une très-haute antiquité. C’est le vrai génie oriental. Les rabbins n’ont jamais eu tant d’imagination. Ils ne sont qu’absurdes. Cela porte visiblement le caractère des plus anciennes fables. » (B.)