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MIRACLES.

mations du prêtre anglais n’approchent pas de celles du prêtre champenois. Woolston a quelquefois des ménagements ; Meslier n’en a point ; c’est un homme si profondément ulcéré des crimes dont il a été témoin qu’il en rend la religion chrétienne responsable, en oubliant qu’elle les condamne. Point de miracle qui ne soit pour lui un objet de mépris et d’horreur ; point de prophétie qu’il ne compare à celles de Nostradamus. Il va même jusqu’à comparer Jésus-Christ à don Quichotte, et saint Pierre à Sancho-Pança : et ce qui est plus déplorable, c’est qu’il écrivait ces blasphèmes contre Jésus-Christ entre les bras de la mort, dans un temps où les plus dissimulés n’osent mentir, et où les plus intrépides tremblent. Trop pénétré de quelques injustices de ses supérieurs, trop frappé des grandes difficultés qu’il trouvait dans l’Écriture, il se déchaîna contre elle plus que les Acosta et tous les juifs, plus que les fameux Porphyre, les Celse, les Jamblique, les Julien, les Libanius, les Maxime, les Symmaque, et tous les partisans de la raison humaine, n’ont jamais éclaté contre nos incompréhensibilités divines. On a imprimé plusieurs abrégés de son livre ; mais heureusement ceux qui ont en main l’autorité les ont supprimés autant qu’ils l’ont pu[1].

Un curé de Bonne-Nouvelle prés de Paris[2] écrivit encore sur le même sujet : de sorte qu’en même temps l’abbé Becheran et les autres convulsionnaires faisaient des miracles, et trois prêtres écrivaient contre les miracles véritables.

Le livre le plus fort contre les miracles et contre les prophéties est celui de milord Bolingbroke[3]. Mais par bonheur, il est si volumineux, si dénué de méthode, son style est si verbeux, ses phrases si longues, qu’il faut une extrême patience pour le lire.

Il s’est trouvé des esprits qui, étant enchantés des miracles de Moïse et de Josué, n’ont pas eu pour ceux de Jésus-Christ la vénération qu’on leur doit : leur imagination, élevée par le grand spectacle de la mer qui ouvrait ses abîmes et qui suspendait ses flots pour laisser passer la horde hébraïque, par les dix plaies d’Égypte, par les astres qui s’arrêtaient dans leur course sur Gabaon et sur Aïalon, etc., ne pouvait plus se rabaisser à de petits miracles, comme de l’eau changée en vin, un figuier séché, des cochons noyés dans un lac.

  1. L’Extrait, fait par Voltaire, du Testament de J. Meslier, est imprimé dans les Mélanges, année 1762.
  2. La cure de Bonne-Nouvelle est dans Paris ; l’église vient d’être reconstruite. (B.)
  3. En six volumes. (Note de Voltaire.)