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ŒDIPE.

Près d’Œdipe et de moi, je voyais des enfers
Les gouffres éternels à mes pieds entr’ouverts ;
De mon premier époux l’ombre pâle et sanglante
Dans cet abîme affreux paraissait menaçante :
Il me montrait mon fils, ce fils qui dans mon flanc
Avait été formé de son malheureux sang ;
Ce fils dont ma pieuse et barbare injustice
Avait fait à nos dieux un secret sacrifice :
De les suivre tous deux ils semblaient m’ordonner ;
Tous deux dans le Tartare ils semblaient m’entraîner.
De sentiments confus mon âme possédée
Se présentait toujours cette effroyable idée ;
Et Philoctète encor trop présent dans mon cœur
De ce trouble fatal augmentait la terreur.

Égine.

J’entends du bruit, on vient, je le vois qui s’avance.

Jocaste.

C’est lui-même ; je tremble : évitons sa présence.


Scène III.

JOCASTE, PHILOCTÈTE.
Philoctète.

Ne fuyez point, madame, et cessez de trembler ;
Osez me voir, osez m’entendre et me parler.
Ne craignez point ici que mes jalouses larmes
De votre hymen heureux troublent les nouveaux charmes :
N’attendez point de moi des reproches honteux,
Ni de lâches soupirs indignes de tous deux.
Je ne vous tiendrai point de ces discours vulgaires
Que dicte la mollesse aux amants ordinaires.
Un cœur qui vous chérit, et, s’il faut dire plus,
S’il vous souvient des nœuds que vous avez rompus,
Un cœur pour qui le vôtre avait quelque tendresse,
N’a point appris de vous à montrer de faiblesse.

Jocaste.

De pareils sentiments n’appartenaient qu’à nous ;
J’en dois donner l’exemple, ou le prendre de vous.
Si Jocaste avec vous n’a pu se voir unie,
Il est juste, avant tout, qu’elle s’en justifie.