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ACTE I, SCÈNE I.

Et si quelque mortel voulait nous secourir,
Il devait voir le monstre et l’entendre, ou périr.
À cette loi terrible il nous fallut souscrire.
D’une commune voix Thèbes offrit son empire
À l’heureux interprète inspiré par les dieux
Qui nous dévoilerait ce sens mystérieux.
Nos sages, nos vieillards, séduits par l’espérance,
Osèrent, sur la foi d’une vaine science,
Du monstre impénétrable affronter le courroux :
Nul d’eux ne l’entendit ; ils expirèrent tous.
Mais Œdipe, héritier du sceptre de Corinthe,
Jeune, et dans l’âge heureux qui méconnaît la crainte,
Guidé par la fortune en ces lieux pleins d’effroi,
Vint, vit ce monstre affreux, l’entendit, et fut roi.
Il vit, il règne encor ; mais sa triste puissance
Ne voit que des mourants sous son obéissance.
Hélas ! Nous nous flattions que ses heureuses mains
Pour jamais à son trône enchaînaient les destins.
Déjà même les dieux nous semblaient plus faciles :
Le monstre en expirant laissait ces murs tranquilles ;
Mais la stérilité, sur ce funeste bord,
Bientôt avec la faim nous rapporta la mort.
Les dieux nous ont conduits de supplice en supplice ;
La famine a cessé, mais non leur injustice ;
Et la contagion, dépeuplant nos états,
Poursuit un faible reste échappé du trépas.
Tel est l’état horrible où les dieux nous réduisent.
Mais vous, heureux guerrier que ces dieux favorisent,
Qui du sein de la gloire a pu vous arracher ?
Dans ce séjour affreux que venez-vous chercher ?

Philoctète.

J’y viens porter mes pleurs et ma douleur profonde.
Apprends mon infortune et les malheurs du monde.
Mes yeux ne verront plus ce digne fils des dieux,
Cet appui de la terre, invincible comme eux.
L’innocent opprimé perd son dieu tutélaire ;
Je pleure mon ami, le monde pleure un père.

Dimas.

Hercule est mort ?

Philoctète.

Hercule est mort ?Ami, ces malheureuses mains
Ont mis sur le bûcher le plus grand des humains ;