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PRÉFACE D’ŒDIPE.

neille sur les trois unités : il vaut mieux consulter ce grand maître que moi. Voici comme il s’exprime : « Je tiens donc, et je l’ai déjà dit, que l’unité d’action consiste en l’unité d’intrigue et en l’unité de péril. » Que le lecteur lise cet endroit de Corneille, et il décidera bien vite entre M. de Lamotte et moi ; et, quand je ne serais pas fort de l’autorité de ce grand homme, n’ai-je pas encore une raison plus convaincante ? C’est l’expérience. Qu’on lise nos meilleures tragédies françaises, on trouvera toujours les personnages principaux diversement intéressés ; mais ces intérêts divers se rapportent tous à celui du personnage principal, et alors il y a unité d’action. Si, au contraire, tous ces intérêts différents ne se rapportent pas au principal acteur, si ce ne sont pas des lignes qui aboutissent à un centre commun, l’intérêt est double ; et ce qu’on appelle action au théâtre l’est aussi. Tenons-nous-en donc, comme le grand Corneille, aux trois unités dans lesquelles les autres règles, c’est-à-dire les autres beautés, se trouvent renfermées.

M. de Lamotte les appelle des principes de fantaisie, et prétend qu’on peut fort bien s’en passer dans nos tragédies, parce qu’elles sont négligées dans nos opéras : c’est, ce me semble, vouloir réformer un gouvernement régulier sur l’exemple d’une anarchie.

DE L OPÉRA.

L’opéra est un spectacle aussi bizarre que magnifique, où les yeux et les oreilles sont plus satisfaits que l’esprit, où l’asservissement à la musique rend nécessaires les fautes les plus ridicules, où il faut chanter des ariettes dans la destruction d’une ville, et danser autour d’un tombeau : où l’on voit le palais de Pluton et celui du Soleil ; des dieux, des démons, des magiciens, des prestiges, des monstres, des palais formés et détruits en un clin d’œil. On tolère ces extravagances, on les aime même, parce qu’on est là dans le pays des fées ; et, pourvu qu’il y ait du spectacle, de belles danses, une belle musique, quelques scènes intéressantes, on est content. Il serait aussi ridicule d’exiger dans Alceste l’unité d’action, de lieu et de temps, que de vouloir introduire des danses et des démons dans Cinna et dans Rodogune.

Cependant, quoique les opéras soient dispensés de ces trois règles, les meilleurs sont encore ceux où elles sont le moins violées : on les retrouve même, si je ne me trompe, dans plusieurs,