Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
604
ZAÏRE.




Scène VI.

OROSMANE, ZAÏRE.
Zaïre.

Seigneur, vous m’étonnez ; quelle raison soudaine,
Quel ordre si pressant près de vous me ramène ?

Orosmane.

Eh bien ! madame, il faut que vous m’éclaircissiez :
Cet ordre est important plus que vous ne croyez ;
Je me suis consulté… Malheureux l’un par l’autre,
Il faut régler, d’un mot, et mon sort et le vôtre.
Peut-être qu’en effet ce que j’ai fait pour vous,
Mon orgueil oublié, mon sceptre à vos genoux,
Mes bienfaits, mon respect, mes soins, ma confiance,
Ont arraché de vous quelque reconnaissance.
Votre cœur, par un maître attaqué chaque jour,
Vaincu par mes bienfaits, crut l’être par l’amour.
Dans votre âme, avec vous, il est temps que je lise ;
Il faut que ses replis s’ouvrent à ma franchise ;
Jugez-vous : répondez avec la vérité
Que vous devez au moins à ma sincérité.
Si de quelque autre amour l’invincible puissance
L’emporte sur mes soins, ou même les balance,
Il faut me l’avouer, et dans ce même instant.
Ta grâce est dans mon cœur ; prononce, elle t’attend ;
Sacrifie à ma foi l’insolent qui t’adore :
Songe que je te vois, que je te parle encore,
Que ma foudre à ta voix pourra se détourner.
Que c’est le seul moment où je peux pardonner.

Zaïre.

Vous, seigneur ! vous osez me tenir ce langage !
Vous, cruel ! Apprenez que ce cœur qu’on outrage,
Et que par tant d’horreurs le ciel veut éprouver.
S’il ne vous aimait pas, est né pour vous braver.
Je ne crains rien ici que ma funeste flamme ;
N’imputez qu’à ce feu qui brûle encor mon âme,
N’imputez qu’à l’amour, que je dois oublier,