Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/605

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
583
ACTE III, SCÈNE IV.


Zaïre.

Quoi ! je suis votre sœur, et vous pouvez penser
Qu’à mon sang, à ma loi, j’aille ici renoncer ?

Nérestan.

Ah ! ma sœur, cette loi n’est pas la vôtre encore ;
Le jour qui vous éclaire est pour vous à l’aurore ;
Vous n’avez point reçu ce gage précieux
Qui nous lave du crime, et nous ouvre les cieux.
Jurez par nos malheurs, et par votre famille,
Par ces martyrs sacrés de qui vous êtes fille,
Que vous voulez ici recevoir aujourd’hui
Le sceau du Dieu vivant qui nous attache à lui.

Zaïre.

Oui, je jure en vos mains, par ce Dieu que j’adore,
Par sa loi que je cherche, et que mon cœur ignore,
De vivre désormais sous cette sainte loi…
Mais, mon cher frère… hélas ! que veut-elle de moi ?
Que faut-il ?

Nérestan.

Détester l’empire de vos maîtres,
Servir, aimer ce Dieu qu’ont aimé nos ancêtres,
Qui, né près de ces murs, est mort ici pour nous,
Qui nous a rassemblés, qui m’a conduit vers vous.
Est-ce à moi d’en parler ? Moins instruit que fidèle,
Je ne suis qu’un soldat, et je n’ai que du zèle.
Un pontife sacré viendra jusqu’en ces lieux
Vous apporter la vie, et dessiller vos yeux.
Songez à vos serments, et que l’eau du baptême
Ne vous apporte point la mort et l’anathème.
Obtenez qu’avec lui je puisse revenir.
Mais à quel titre, ô ciel ! faut-il donc l’obtenir ?
À qui le demander dans ce sérail profane ?…
Vous, le sang de vingt rois, esclave d’Orosmane !
Parente de Louis, fille de Lusignan !
Vous chrétienne, et ma sœur, esclave d’un soudan !
Vous m’entendez… je n’ose en dire davantage :
Dieu, nous réserviez-vous à ce dernier outrage ?

Zaïre.

Ah ! cruel, poursuivez, vous ne connaissez pas
Mon secret, mes tourments, mes vœux, mes attentats.
Mon frère, ayez pitié d’une sœur égarée,
Qui brûle, qui gémit, qui meurt désespérée.