Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LETTRES SUR ŒDIPE.

quelque lieu de croire que Phorbas est coupable, et si le nœud de la pièce n’était pas fondé sur un mensonge puéril.

C’est un conte

Dont Phorbas, au retour, voulut cacher sa honte.

Acte IV, scène iv.

Je ne pousserai pas plus loin la critique de mon ouvrage ; il me semble que j’en ai reconnu les défauts les plus importants. On ne doit pas en exiger davantage d’un auteur, et peut-être un censeur ne m’aurait-il pas plus maltraité. Si on me demande pourquoi je n’ai pas corrigé ce que je condamne, je répondrai qu’il y a souvent dans un ouvrage des défauts qu’on est obligé de laisser malgré soi ; et d’ailleurs il y a peut-être autant d’honneur à avouer ses fautes[1] qu’à les corriger. J’ajouterai encore que j’en ai ôté autant qu’il en reste : chaque représentation de mon Œdipe était pour moi un examen sévère où je recueillais les suffrages et les censures du public, et j’étudiais son goût pour former le mien. Il faut que j’avoue que monseigneur le prince de Conti est celui qui m’a fait les critiques les plus judicieuses et les plus fines[2]. S’il n’était qu’un particulier, je me contenterais d’admirer son discernement ; mais puisqu’il est élevé au-dessus des autres par son rang autant que par son esprit, j’ose ici le supplier d’accorder sa protection aux belles-lettres dont il a tant de connaissance.

J’oubliais de dire que j’ai pris deux vers dans l’Œdipe de Corneille. L’un est au premier acte (scène ire) :

Ce monstre à voix humaine, aigle, femme, et lion.

L’autre est au dernier acte[3] ; c’est une traduction de Sénèque ; Œdip., act. V, v. 950 :

. . . . . . . Nec sepultis mistus, et vivis tamen
Exemptus
. . . . .
Et le sort qui l’accable
Des morts et des vivants semble le séparer.

Je n’ai point fait scrupule de voler ces deux vers, parce qu’ayant précisément la même chose à dire que Corneille, il m’était impossible de l’exprimer mieux ; et j’ai mieux aimé donner

  1. C’est ainsi qu’on lit dès la seconde édition. Mais dans la première, il y a : « Et d’ailleurs j’ai peut-être autant de plaisir à les avouer que j’en aurais à les corriger ». (B.)
  2. Il est tout naturel que Voltaire encense ici le prince de Conti, qui, après la première représentation d’Œdipe, lui adressa une pièce de vers enthousiaste.
  3. Scène vi.