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LETTRES SUR ŒDIPE.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Suivez-moi,
Et venez dissiper ou combler mon effroi.

Mais il n’y a pas de raison pour qu’Œdipe éclaircisse son doute plutôt derrière le théâtre que sur la scène : aussi, après avoir dit à Jocaste de le suivre, revient-il avec elle le moment d’après, et il n’y a aucune autre distinction entre le troisième et le quatrième acte que le coup d’archet qui les sépare.

La première scène du quatrième acte est celle qui a le plus réussi ; mais je ne me reproche pas moins d’avoir fait dire dans cette scène à Jocaste et à Œdipe tout ce qu’ils avaient dû s’apprendre depuis longtemps. L’intrigue n’est fondée que sur une ignorance bien peu vraisemblable : j’ai été obligé de recourir à un miracle pour couvrir ce défaut du sujet.

Je mets dans la bouche d’Œdipe (acte IV, scène ire) :

Enfin je me souviens qu’aux champs de la Phocide
(Et je ne conçois pas par quel enchantement
J’oubliais jusqu’ici ce grand événement ;
La main des dieux sur moi si longtemps suspendue
Semble ôter le bandeau qu’ils mettaient sur ma vue) :
Dans un chemin étroit je trouvai deux guerriers, etc.

Il est manifeste que c’était au premier acte qu’Œdipe devait raconter cette aventure de la Phocide ; car, dès qu’il apprend de la bouche du grand-prêtre que les dieux demandent la punition du meurtrier de Laïus, son devoir est de s’informer scrupuleusement et sans délai de toutes les circonstances de ce meurtre. On doit lui répondre que Laïus a été tué en Phocide, dans un chemin étroit, par deux étrangers : et lui, qui sait que, dans ce temps-là même, il s’est battu contre deux étrangers en Phocide, doit soupçonner dès ce moment que Laïus a été tué de sa main. Il est triste d’être obligé, pour cacher cette faute, de supposer que la vengeance des dieux ôte dans un temps la mémoire à Œdipe, et la lui rend dans un autre. La scène suivante d’Œdipe et de Phorbas me paraît bien moins intéressante chez moi que dans Corneille. Œdipe, dans ma pièce, est déjà instruit de son malheur avant que Phorbas achève de l’en persuader ; Phorbas ne laisse l’esprit du spectateur dans aucune incertitude, il ne lui inspire aucune surprise, il ne doit donc point l’intéresser. Dans Corneille, au contraire, Œdipe, loin de se douter d’être le meurtrier de Laïus, croit en être le vengeur, et il se convainc lui-même en voulant convaincre Phorbas. Cet artifice de Corneille serait admirable, si Œdipe avait