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SECONDE ÉPÎTRE DÉDICATOIRE.


raison et de loi. Cette coutume peu raisonnable était de finir chaque acte par des vers d’un goût différent du reste de la pièce ; et ces vers devaient nécessairement renfermer une comparaison. Phèdre, en sortant du théâtre, se comparait poétiquement à une biche ; Caton, à un rocher ; Cléopâtre, à des enfants qui pleurent jusqu’à ce qu’ils soient endormis.

Le traducteur de Zaïre est le premier qui ait osé maintenir les droits de la nature contre un goût si éloigné d’elle. Il a proscrit cet usage ; il a senti que la passion doit parler un langage vrai, et que le poëte doit se cacher toujours pour ne laisser paraître que le héros[1].

C’est sur ce principe qu’il a traduit, avec naïveté et sans aucune enflure, tous les vers simples de la pièce, que l’on gâterait si on voulait les rendre beaux.

On ne peut désirer ce qu’on ne connaît pas.(Acte I, scène I.)

J’eusse été près du Gange esclave des faux dieux,
Chrétienne dans Paris, musulmane en ces lieux. (I, I.)

Mais Orosmane m’aime, et j’ai tout oublié. (I, I.)

Non, la reconnaissance est un faible retour,
Un tribut offensant, trop peu fait pour l’amour. (I, I.)

Je me croirais haï d’être aimé faiblement. (I, II.)

Je veux avec excès vous aimer et vous plaire. (I, II.)

L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin. (IV, II.)

L’art le plus innocent tient de la perfidie. (IV, II.)

  1. « Il est vrai, dit Lessing, que les Anglais, depuis Shakespeare et peut-être bien avant lui, avaient l’habitude de terminer par deux vers rimés leurs pièces écrites en vers blancs. Mais que ces vers ne dussent renfermer que des comparaisons, et cela nécessairement, voilà ce qui est entièrement faux ; et je ne sais pas comment M. de Voltaire a pu dire cela au nez d’un Anglais qu’il devait bien soupçonner d’avoir lu les poëtes tragiques de sa nation. En second lieu, il n’est pas vrai de dire que Hill, dans sa traduction de Zaïre, s’est affranchi de cette coutume. Peut-on croire que M. de Voltaire n’ait pas examiné de plus près que moi ou que tout autre la traduction de sa pièce ? Non. Et cela doit être pourtant. Car il est aussi certain que chaque acte de la Zaïre anglaise se termine par deux ou quatre vers rimés, qu’il est certain qu’elle est écrite en vers blancs. Ces vers, il est vrai, ne renferment pas de comparaisons ; mais, comme je l’ai dit, de tous les vers rimés par lesquels Shakespeare, Johnson, Dryden, Otway, Rowe, etc., terminent leurs