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SECONDE ÉPÎTRE DÉDICATOIRE.


Il ne faut point imputer à notre nation une grossièreté si honteuse, dont les peuples les moins civilisés rougiraient. Les magistrats qui veillent parmi nous sur les mœurs, et qui sont continuellement occupés à réprimer le scandale, furent surpris alors : mais le mépris et l’horreur du public pour l’auteur connu de cette indignité sont une nouvelle preuve de la politesse des Français.

Les vertus qui forment le caractère d’un peuple sont souvent démenties par les vices d’un particulier. Il y a eu quelques hommes voluptueux à Lacédémone. Il y a eu des esprits légers et pas en Angleterre, Il y a eu dans Athènes des hommes sans goût, impolis et grossiers, et on en trouve dans Paris.

Oublions-les, comme ils sont oubliés du public, et recevez ce second hommage : je le dois d’autant plus à un Anglais que cette tragédie vient d’être embellie à Londres. Elle y a été traduite et jouée avec tant de succès, on a parlé de moi sur votre théâtre avec tant de politesse et de bonté, que j’en dois ici un remerciement public à votre nation.

Je ne peux mieux faire, je crois, pour l’honneur des lettres, que d’apprendre ici à mes compatriotes les singularités de la traduction et de la représentation de Zaïre sur le théâtre de Londres.

M. Hill, homme de lettres, qui paraît connaître le théâtre mieux qu’aucun auteur anglais, me fit l’honneur de traduire ma pièce, dans le dessein d’introduire sur votre scène quelques nouveautés, et pour la manière d’écrire les tragédies, et pour celle de les réciter. Je parlerai d’abord de la représentation.

L’art de déclamer était chez vous un peu hors de la nature : la plupart de vos acteurs tragiques s’exprimaient souvent plus en poëtes saisis d’enthousiasme qu’en hommes que la passion inspire. Beaucoup de comédiens avaient encore outré ce défaut ; ils déclamaient des vers ampoulés, avec une fureur et une impétuosité qui est au beau naturel ce que les convulsions sont à l’égard d’une démarche noble et aisée.

Cet air d’emportement semblait étranger à votre nation ; car elle est naturellement sage, et cette sagesse est quelquefois prise pour de la froideur par les étrangers. Nos prédicateurs ne se permettent jamais un ton de déclamateur. On rirait chez vous d’un avocat qui s’échaufferait dans son plaidoyer. Les seuls comédiens étaient outrés. Nos acteurs, et surtout nos actrices de Paris, avaient ce défaut, il y a quelques années : ce fut Mlle Lecouvreur qui les en corrigea. Voyez ce qu’en dit un auteur italien de beaucoup d’esprit et de sens :