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LETTRES SUR ŒDIPE.

nable en cela que Thésée, qui, n’étant point, comme lui, chargé du salut de tout ce peuple, peut sans crime écouter sa passion.

Cependant comme il fallait bien dire, au premier acte, quelque chose du sujet de la pièce, on en touche un mot dans la cinquième scène. Œdipe soupçonne que les dieux sont irrités contre les Thébains, parce que Jocaste avait autrefois fait exposer son fils, et trompé par là les oracles des dieux qui prédisaient que ce fils tuerait son père et épouserait sa mère.

Il me semble qu’il doit croire plutôt que les dieux sont satisfaits que Jocaste ait étouffé un monstre au berceau ; et vraisemblablement ils n’ont prédit les crimes de ce fils qu’afin qu’on l’empêchât de les commettre.

Jocaste soupçonne, avec aussi peu de fondement, que les dieux punissent les Thébains de n’avoir pas vengé la mort de Laïus. Elle prétend qu’on n’a jamais pu venger cette mort : comment donc peut-elle croire que les dieux la punissent de n’avoir pas fait l’impossible ?

Avec moins de fondement encore Œdipe répond[1] :

Pourrions-nous en punir des brigands inconnus,
Que peut-être jamais en ces lieux on n’a vus ?
Si vous m’avez dit vrai, peut-être ai-je moi-même
Sur trois de ces brigands vengé le diadème ;
Au lieu même, au temps même, attaqué seul par trois,
J’en laissai deux sans vie, et mis l’autre aux abois.

Œdipe n’a aucune raison de croire que ces trois voyageurs fussent des brigands, puisqu’au quatrième acte[2], lorsque Phorbas paraît devant lui, il lui dit :

Et tu fus un des trois que je sus arrêter
Dans ce passage étroit qu’il fallut disputer.

S’il ne les a arrêtés lui-même, et s’il ne les a combattus que parce qu’ils ne voulaient pas lui céder le pas, il n’a pas dû les prendre pour des voleurs, qui font ordinairement très-peu de cas des cérémonies, et qui songent plutôt à détrousser les gens qu’à leur disputer le haut du pavé.

Mais il me semble qu’il y a dans cet endroit une faute encore plus grande. Œdipe avoue à Jocaste qu’il s’est battu contre trois inconnus, au temps même et au lieu même où Laïus a été tué.

  1. Acte Ier, scène vi.
  2. Scène iv.