Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE COMTE, se jetant à ses pieds.

Je jure, par ces mains adorables, que j’aurai pour vous la passion la plus tendre.

LA COMTESSE.

Je vous avoue que je n’ai jamais rien désiré que d’être aimée de vous : et si vous me connaissiez bien, vous avoueriez peut-être que je le mérite, malgré ce que je suis.

LE COMTE.

Hélas ! ne pourrai-je du moins connaître celle qui m’honore de tant de bontés ?

LA COMTESSE.

Je suis la plus malheureuse femme du monde : je suis mariée, et c’est ce qui fait le chagrin de ma vie. J’ai un mari qui n’a jamais daigné me regarder : si je lui parlais, à peine reconnaîtrait-il ma voix.

LE COMTE.

Le brutal ! est-il possible qu’il puisse mépriser une femme comme vous ?

LA COMTESSE.

Il n’y a que vous qui puissiez m’en venger : mais il faut que vous me donniez tout votre cœur ; sans cela, je serais encore plus malheureuse qu’auparavant.

LE COMTE.

Souffrez donc que je vous venge des cruautés de votre indigne mari ; souffrez qu’à vos pieds…

LA COMTESSE.

Je vous assure que c’est lui qui s’attire cette aventure : s’il m’aimait, je vous jure qu’il aurait en moi la femme la plus tendre, la plus soumise, la plus fidèle.

LE COMTE.

Le bourreau ! il mérite bien le tour que vous lui jouez.

LA COMTESSE.

Vous êtes mon unique ressource dans le monde. Je me suis flattée que, dans le fond, vous êtes un honnête homme : qu’après les obligations que vous m’avez, vous vous ferez un devoir de bien vivre avec moi.

LE COMTE.

Tenez-moi pour le plus grand faquin, pour un homme indigne de vivre, si je trompe vos espérances. Ce que vous faites pour moi me touche sensiblement : et, quoique je ne connaisse de vous que ces mains charmantes que je tiens entre les miennes, je vous aime déjà comme si je vous avais vue. Ne différez plus mon