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voir un jeune fat, mon beau-frère, qui a perdu la raison ; le beau-père a perdu la mémoire. Bonhomme de président, allons, où est votre fille ?

LA PRÉSIDENTE.

Ma fille, monsieur, s’habille pour paraître devant vous ; mais je ne crois pas que vous vouliez l’épouser sitôt.

M. DU CAP-VERT.

Je lui donne du temps : je ne compte me marier que dans trois ou quatre heures. J’ai hâte, ma bonne ; j’arrive de loin.

LA PRÉSIDENTE.

Quoi : vous voulez vous marier aujourd’hui avec le visage que vous portez ?

M. DU CAP-VERT.

Sans doute : je n’irai pas emprunter celui d’un autre.

LA PRÉSIDENTE.

Allez, vous vous moquez : il faut que vous soyez auparavant quinze jours entre mes mains.

M. DU CAP-VERT.

Pas un quart d’heure seulement. Présidente, quelle proposition me faites-vous là ?

LA PRÉSIDENTE.

Voyez ce jeune homme que je vous présente : quel teint ! qu’il est frais ! je ne l’ai pourtant entrepris que d’hier.

M. DU CAP-VERT.

Comment dites-vous ? depuis hier ce jeune homme et vous…

LE CHEVALIER.

Oui. monsieur, madame daigne prendre soin de moi.

LA PRÉSIDENTE.

C’est moi qui l’ai mis dans l’état où vous le voyez.

LE PRÉSIDENT, à part.

Non. il n’est pas possible que cet homme-là soit arrivé.

M. DU CAP-VERT.

Je ne comprends rien à toutes les lanternes que vous me dites, vous autres.

LA PRÉSIDENTE.

Je vous dis qu’il faut que vous soyez saigné et purgé dûment avant de songer à rien.

M. DU CAP-VERT.

Moi, saigné et purgé ! j’aimerais mieux être entre les mains des Turcs qu’entre celles des médecins.

LA PRÉSIDENTE.

Après un voyage de long cours, vous devez avoir amassé des