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usé avec la moitié de mon bien, qui m’était pourtant plus cher que tous ces messieurs-là. Allez, allez : dites-leur qu’ils reviennent… dans quelques années, dans quelques années… Hé ! prenez ce miroir, page ; et vous, mons de l’Étrier…

L’ÉTRIER.

Monseigneur ?

LE COMTE.

Dites un peu, mons de l’Étrier, qu’on mette mes chevaux napolitains à ma calèche verte et or.

L’ÉTRIER.

Monseigneur, je les vendis hier pour acheter des boucles d’oreilles à Mlle Manon.

LE COMTE.

Eh bien ! qu’on mette les chevaux barbes.

L’ÉTRIER.

Un coquin de marchand de foin les fit saisir hier avec votre berline neuve.

LE COMTE.

En vérité, le roi devrait mettre ordre à ces insolences : comment veut-on que la noblesse se soutienne, si on l’oblige de déroger au point de payer ses dettes ?…

LA COMTESSE.

Pourrai-je obtenir audience à mon tour ?

LE COMTE.

Ah ! vous voici encore, madame ? Je vous croyais partie avec mes autres créanciers.

LA COMTESSE.

Peut-on se voir méprisée plus indignement ! eh bien ! vous ne voulez donc pas m’écouter ?

LE COMTE, à son écuyer.

Mons de l’Étrier, un peu d’or dans mes poches… Eh ! madame, revenez dans quelques années.

LA COMTESSE.

Mauvaise plaisanterie à part, il faut pourtant que je vous parle.

LE COMTE.

Eh bien ! allons donc, il faut bien un peu de galanterie avec les dames : mais ne soyez pas longue.

LA COMTESSE.

Que de coups de poignard !

LE COMTE, à ses gens.

Messieurs de la chambre, qu’on ôte un peu cette toilette.